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Accords militaires Mali-France : « Les décideurs français doivent  vraiment comprendre ce changement d'époque» - Gilles Yabi

Dans une récente interview, le Premier ministre du Mali Choguel Kokalla Maïga a dénoncé certaines clauses des accords militaires qui lient la France et son pays le Mali . Selon lui, le Mali ne peut même pas survoler son espace aérien sans l'autorisation de la France . Pour l'analyste Gilles Yabi, c'est peut être l'occasion de lever le voile sur  ces accords de plus en plus contestés par une partie de l'opinion des pays d’Afrique francophone. Voici l'intégralité de l'interview de Gilles Yabi, analyste politique, Dr en Économie et fondateur de Wathi (Think tank citoyen d’Afrique de l'ouest) ,

G Yabi

24 janvier 2022 à 16h35 par Lilianne Nyatcha / Africa Radio Paris

Le Premier ministre annonce que le Mali veut réviser les accords militaires signés avec la France.Surenchère ou Bamako entend -il vraiment profiter à fond du vent de l'anticolonialisme grandissant au Mali ?

Je crois que la déclaration du premier ministre Choguel Maïga s’inscrit dans la tension actuelle. On est dans une situation très particulière avec un Mali qui est frappé de sanctions économiques et financières très dures par la CEDEAO et l’UEMOA. Ce sont des sanctions qui pèsent lourdement. On est dans un bras de fer entre le Mali et la CEDEAO et entre bien sûr aussi les autorités de la transition et la France. Ces autorités avaient quasi explicitement indiqué que la Cedeao a pris ses sanctions sous l'influence de la France.

On a vu dans cet entretien du premier ministre malien, une volonté de critiquer assez ouvertement et directement la France et sa politique à l'égard du Mali au cours des dernières années. Donc, le point sur les accords militaires n’est qu’un point parmi beaucoup d'autres.

Pourquoi maintenant ? Quel message les autorités de la transition malienne veulent faire passer à Paris ?

Il y a un double message que les autorités de la transition passent à Paris. Mais lorsque le premier ministre parle dans une longue interview à un moment de crise aussi particulier que le moment actuel, il s’adresse à plusieurs cibles en même temps. Non seulement aux autorités françaises, mais aussi aux populations maliennes et à l’opinion publique africaine.

Et c’est très clair, le fait de dire qu’il faut que la France révise de manière fondamentale ses relations avec le Mali sur le plan militaire. Le fait de rappeler le contexte de l’intervention de la France et de souligner qu’un certain nombre d’attentes n'ont pas été satisfaites, c'est aussi une manière pour le premier ministre de renforcer l'argumentaire de la transition qui consiste à dire que ‘’nous sommes là avec une posture différente des gouvernements précédents qui avaient une relation très proche avec la France et qui finalement ne faisaient peut-être pas prévaloir l'intérêt du Mali’’.

Toujours selon le premier ministre Choguel Maïga, les militaires maliens, pour survoler certaines parties du territoire, étaient obligés de chercher l'autorisation de la France. Ce qui n'est plus le cas aujourd'hui avec eux, l'actuel gouvernement. Que pensez-vous de cette déclaration ?

Je ne suis pas au quotidien les affaires maliennes et les affaires militaires pour savoir si le premier ministre a raison sur tout ce qu’il dit. On n’a pas non plus connaissance des détails des accords militaires et c'est souvent le cas.

Le fait de tenir secret le contenu de ces accords de défense a plusieurs fois été dénoncé par une partie de l'opinion en Afrique francophone…

Tout à fait. Cela élargit la question sur les relations politiques et militaires anciennes entre la France et ses anciennes colonies où il existe encore effectivement une part d'ombre qui entoure ces accords.

Mais après, il faut voir dans d’autres régions du monde si les accords de ce type sont toujours totalement publics. Je n'en suis pas sûr. Mais c'est clair que dans le contexte quand même d’une méfiance très forte à l'égard de la préservation de l'intérêt, il est important de mettre fin à un moment donné à cette opacité.

Pensez-vous que la France en a la volonté ? Avec la pression du Mali et de l'opinion publique d'Afrique francophone ? Cela peut changer ?

Il y a beaucoup de complexité. Il y a des intérêts à court terme mais aussi des intérêts à moyen et à long terme. Pour un pays comme la France, l'une des motivations à intervenir et être présente militairement en Afrique est la place qu’elle occupe dans le monde. Au-delà du Mali, ce qui est en jeu pour la France, c’est sa présence et son influence dans l’espace africain, en particulier en Afrique de l'ouest et dans le sahel.

Plus globalement, que nous enseigne cette tension diplomatique entre Paris et Bamako sur l’avenir des relations entre la France et ses anciennes colonies africaines ?

Ça montre en tous cas qu’on arrive aux lignes rouges. A un moment, il faudra véritablement que les décideurs français sur le plan politique comprennent vraiment ce changement d'époque avec le rajeunissement des décideurs, qu'ils soient politiques et militaires, dans les pays de la région. Et aussi, il y a les attentes des populations très majoritairement jeunes. Aujourd'hui au Mali, elles appellent en faveur de la Russie sachant que sur les plans économique et démographique, la Russie n'est pas nécessairement la puissance d’avenir dans 20-30 ans.

Gilles Yabi