Au Soudan, la rue contre le coup d'Etat, la communauté internationale fait pression

"Pas de retour en arrière possible", scandent les Soudanais toujours dans la rue mardi, au lendemain d'un coup d'Etat condamné à l'étranger et la mort de quatre manifestants qui protestaient après l'arrestation de la quasi-totalité des dirigeants civils par les militaires avec lesquels ils partageaient le pouvoir.

AFRICA RADIO

26 octobre 2021 à 9h36 par AFP

Khartoum (AFP)

Alors que le pays englué depuis deux ans dans une transition qui n'a pas vu le jour est plongé dans l'inconnu, le général Abdel Fattah al-Burhane, celui qui a totalement rebattu les cartes du Soudan par surprise lundi, est censé tenir une conférence de presse à la mi-journée pour annoncer la suite de ce que la communauté internationale dénonce déjà comme un "coup d'Etat militaire".

Pour la Troïka -- les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la Norvège -- à la manoeuvre sur le dossier soudanais depuis des années, "les actions des militaires trahissent la révolution et la transition" post-dictature après la chute en 2019 de l'autocrate Omar el-Béchir.

Washington va même plus loin: elle a "suspendu" une aide de 700 millions de dollars au Soudan parce que la voie vers ses premières élections libres semble de plus en plus bouchée.

Et parce que pour manifestants et experts, la perspective d'un retour au règne sans partage des militaires est désormais de plus en plus réaliste, le Conseil de sécurité de l'ONU tiendra mardi après-midi une réunion d'urgence à huis clos.

Car le récent ballet diplomatique à Khartoum n'y a rien fait.Dimanche encore, l'émissaire américain Jeffrey Feltman rencontrait le général Abdel Fattah al-Burhane et le Premier ministre Abdallah Hamdok et tous deux s'engageaient à la transition démocratique.

Le lendemain, le général Burhane a annoncé la dissolution de toutes les institutions de transition tandis que le Premier ministre est toujours aux mains des militaires qui l'ont emmené avec son épouse, plusieurs de ses ministres et les dirigeants civils du pays vers une destination inconnue.

 

- Désobéissance civile et barricades -

 

Seul Moscou a vu dans ce coup de force dénoncé en Occident "le résultat logique d'une politique ratée" accompagnée d'"une ingérence étrangère d'ampleur", dans un pays où Russes, Turcs, Américains ou encore Saoudiens se disputent l'influence notamment sur les ports de la mer Rouge, stratégiques pour leurs flottes dans la région.

La rue, elle, a déclaré "la grève générale" et la "désobéissance civile" à des nouvelles autorités jusqu'ici incarnées par un seul homme, le général Burhane, qui a promis un gouvernement "compétent" pour bientôt mais dont le coup de force a suspendu de fait une transition inédite dans un pays resté sous la férule de l'armée quasiment en continu depuis son indépendance.

Sous une nuée de drapeaux, une foule de Soudanais campe dans les rues de Khartoum, sortie lundi matin tandis que tous se demandaient où allait le pays, alors sans internet ni appels téléphoniques.

Pour ceux-là, il s'agit de "sauver" la "révolution" qui a renversé Béchir en 2019, au prix d'une répression qui avait fait plus de 250 morts. 

Depuis lundi, au moins quatre manifestants ont été tués par des balles "tirées par les forces armées" selon un syndicat de médecins pro-démocratie, et plus de 80 autres blessés.

"Ca suffit, 30 ans d'humiliation sous Béchir, on ne veut pas d'un nouveau coup d'Etat maintenant", s'emporte un manifestant dans Khartoum aux routes coupées par manifestants et forces de sécurité déployées avec leurs blindés sur les ponts et les grands axes. 

 

- "Goufre" -

 

"La patrie l'emporte sur tout et en ce moment-même elle plonge dans le gouffre à cause des dirigeants: nous devons tous agir, sortir dans les rues est une obligation", lance un autre à l'AFP au milieu de colonnes de fumée noire de pneus brûlés.

Ce processus, dont les Soudanais se targuaient dans un monde arabe où les révoltes pro-démocratie des dernières années ont peu à peu laissé la place aux islamistes ou à des contre-révolutions autoritaires, battait de l'aile depuis longtemps.

En avril 2019, militaires et civils s'accordaient pour chasser Béchir du pouvoir et former le Conseil de souveraineté, composé équitablement de représentants des deux camps afin d'organiser les premières élections libres fin 2023.

Mais lundi, en décrétant l'état d'urgence et la suspension de tous les responsables, le général Burhane a mis un coup d'arrêt à la transition en invoquant des luttes politiques intestines.