Cameroun : accusations de pots de vin : « Nous sommes en droit de considérer que les aveux de Glencore sont parfaitement vrais et fondés. » (MRC)
Glencore a déclaré avoir versé des pots-de-vin pour 7 milliards de francs CFA (environ 10,5 millions d'euros) à la SNH( Société nationale des hydrocarbures ) et à la Sonara (Société nationale de raffinage ) en échange de faveurs. Le groupe anglo-suisse spécialisé dans le négoce de matières premières, l'a admis devant la Justice américaine.L'opposition camerounaise réclame l'ouverture d'une enquête judiciaire . Lilianne Nyatcha a interrogé Me Emmanuel Simh, vice-président du MRC, principal parti d'opposition .
8 juin 2022 à 13h24 par Lilianne Nyatcha / Africa Radio
Glencore a indexé la Sonara et la Snh, deux entreprises pétrolières publiques du Cameroun. Qu’en savez-vous ?
Nous avons appris sur les réseaux sociaux que la société Glencore dans les procédures aux États-Unis et en Grande Bretagne a plaidé coupable d’avoir déposé dans les comptes des agents publics camerounais des sommes allant jusqu’à 7 milliards de Francs CFA en termes de pots-de-vin. Les aveux que Glencore a dû faire devant les juridictions nous laissent croire qu’au-delà de ce qui a été payé à ces personnes, les pertes financières pour le Cameroun sont abyssales, si on peut les imaginer. En l’état, personne n’a contesté ici au Cameroun, ni la Sonara ni la Snh. Nous sommes en droit de considérer que les aveux de Glencore sont parfaitement vrais et fondés.
Pour vous, le silence de la Sonara et de la Snh vaut culpabilité ?
Incontestablement ! Dans un pays organisé, les agents publics en charge des fonds publics doivent rendre des comptes. Mais lorsqu’une telle accusation est portée et que les personnes incriminées ne disent rien, que doit-on retenir ? Dans ces conditions, on prend ce qui été dit pour argent comptant. Surtout que cela a été dit dans le cadre d’une procédure régulière menée par des autorités judiciaires, ce silence indique de manière incontestable qu’il y a effectivement eu pots-de-vin et nous estimons que cela suffit à croire aux faits.
Vous êtes avocat Me Simh. Que vaut donc la présomption d'innocence ?
Je vais vous dire une chose : la corruption est dans notre pays une vraie endémie. C’est une pathologie grave. Tout le monde le sait, les fonctionnaires camerounais ont des fortunes absolument colossales qu’ils ne peuvent jamais justifier. Les camerounais devraient se constituer partie civile dans cette procédure pour pouvoir avoir accès non seulement aux montants des sommes versées à ces autorités mais également aux montants que le Cameroun aurait perdu dans le cadre de ces transactions dans lesquelles on apprend que Glencore fixait à sa guise le prix du pétrole produit au Cameroun. Nous sommes bien conscients que la présomption d’innocence est un principe sacré, mais dans le cas d'espèce, nous ne pensons pas un seul instant qu’on ait crucifié la Sonara et la SNH d’une manière absolument légère.
Que souhaite le MRC aujourd’hui ? Une enquête parlementaire ou que le procureur s’auto-saisisse de cette affaire ?
C’est bien cela le sens de la déclaration publiée par le MRC et signée par le président national du parti, Maurice Kamto. Nous demandons la mise en place urgente d’une enquête judiciaire qui permettra de tirer au clair ce qui se passe dans ce dossier par des magistrats compétents parce que dans le cadre parlementaire, les enquêtes sont rarement obtenues. Le procureur doit s’auto-saisir de l’affaire.
Une anecdote : il y a 10 ans, un journaliste de la radio nationale questionnait le directeur général de la SNH, Adolphe Moudiki, au sujet du budget annuel de la Société. Il est encore vivant, il a répondu que c’est le chef de l’État et lui-même qui ont le droit de savoir les fonds détenus par la SNH.
Qu’est-ce que vous en déduisez ?
Je vais le dire : le chef de l'État est lui-même coupable de ce qui se passe. A l’article 36 de la constitution, il est prévu que chaque agent, chaque directeur de société publique, chaque ministre, y compris le plus haut, le Chef de l’État puisse déclarer leurs biens dès leur entrée en fonction. Ce décret d’application que devait signer le président la République Paul Biya, n’a jamais été signé depuis 1996.
L’ex-bâtonnier de l'ordre des avocats Me Akere Muna, également ancien vice-président de Transparency International a saisi le 27 mai dernier le président de la commission nationale anti-corruption (CONAC) pour demander une enquête sur cette affaire. Est-ce que vous vous associez à cette démarche ?
On y adhère entièrement. Nous sommes preneurs de tout ce qui peut être fait pour que la lumière rejaillisse sur ce dossier. Mais la Conac a des membres qui sont nommés par le Chef de l’État et qui sont payés par le budget de la fonction publique. Lorsqu’elle fait un rapport, c’est toujours destiné au chef de l’État qui peut s’il le veut, le rendre public ou pas. C’est pour cette raison qu’on peut avoir des réserves par rapport à la Conac.