Dans une région reculée de l'Ouganda, la faim gagne du terrain
A l'hôpital de Kaabong, des mères de famille veillent anxieusement leurs enfants aux corps chétifs.Leurs frêles rejetons sont les premiers touchés par la faim qui gagne du terrain dans la région pauvre et reculée de Karamoja, dans le nord-est de l'Ouganda.
14 juin 2022 à 9h07 par AFP
Maria Logiel a amené deux de ses enfants: l'un a la peau marquée de lésions causées par une malnutrition extrême, l'autre, accroché à son dos, fixe le vide de ses yeux hagards enfoncés dans son visage émacié.
"Je suis venue avec eux parce qu'ils étaient mal en point et qu'ils allaient mourir", explique cette femme d'une trentaine d'années: "J'en ai laissé deux autres à la maison et je crains qu'à mon retour, ils ne soient plus vivants".
Plus d'un demi-million de personnes souffrent de la faim dans la province de Karamoja, soit 40% de la population de cette région située aux confins de l'Ouganda, du Soudan du Sud et du Kenya.
Catastrophes naturelles, invasions de criquets et de chenilles légionnaires et raids récurrents de voleurs de bétail en sont les principales causes.
"Au cours des trois derniers mois, nous avons perdu plus de 25 enfants de moins de cinq ans en raison de la malnutrition", affirme le docteur Sharif Nalibe, responsable de la santé dans le district de Kaabong, l'un des plus durement touchés de Karamoja.
"Et il s'agit de ceux qui étaient sous nos soins, (...) amenés à la dernière minute à l'hôpital.Il y en a beaucoup qui meurent dans les communautés et (ne sont) pas signalés", souligne-t-il.
- Région oubliée -
La région de Karamoja s'enfonce dans la faim loin des projecteurs médiatiques, tournés vers la guerre en Ukraine ou la famine à grande échelle qui guette la Corne de l'Afrique.
Même en Ouganda, la crise qui s'installe dans cette région reculée, à plus de 500 kilomètres de la capitale Kampala, et réputée instable n'attire pas l'attention.
Environ 91.600 enfants et 9.500 femmes enceintes ou allaitantes souffrent de malnutrition aiguë et ont besoin d'un traitement, selon la dernière évaluation d'agences humanitaires.
"En termes de malnutrition aiguë (...), nous avons connu cette année le pire depuis dix ans", affirme Alex Mokori, spécialiste en nutrition à l'Unicef, qui mène avec les autorités locales de Karamoja des opérations de détection de malnutrition.
Maria Logiel a tenté de nourrir ses enfants avec des plantes sauvages qu'elle cueillait, mais cela les a souvent rendus malades.
En désespoir de cause, elle s'est parfois résignée à acheter de la lie de "malwa", sorte de bière locale à base de millet.
Mais les 40 centimes que coûtent 50 centilitres de ce résidu farineux et légèrement alcoolisé sont hors de prix pour elle."Souvent, on n'arrive pas à réunir de l'argent et les enfants s'endorment affamés", raconte-t-elle.
- "Le pire" à venir -
Les communautés karimojong, qui vivent d'élevage et d'agriculture, mènent depuis des décennies une vie précaire, rythmée par les attaques de bétail - suivies de représailles - des différents groupes nomades qui vont et viennent à travers la poreuse frontière entre Ouganda, Soudan du Sud et Kenya.
Le gouvernement ne parvient pas à endiguer ces violences.
Le dérèglement climatique a fragilisé un peu plus leur existence: la région connaît actuellement un épisode de sécheresse après avoir été frappée l'année dernière par des inondations et des glissements de terrain.
"Avec la sécheresse prolongée, les voleurs de bétail et des communautés sans moyens de subsistance, nous nous dirigeons vers le pire", estime Sharif Nalibe.
Pour certains, comme Nangole Lopwon, le pire est déjà là.
Cette mère de famille est partie vendre du bois de chauffage dans un village voisin, laissant ses jumeaux affamés avec leur frère aîné.A son retour, un des jumeaux était mort."Que pouvais-je faire ? Il n'était pas malade, c'est la faim qui l'a tué", soupire-t-elle.
Mais la situation n'a fait qu'empirer depuis et le jumeau survivant se trouve à son tour dans un état grave: "Lui aussi est sur le point de mourir".