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Ethiopie: l'ex-royaume kaffa rêve de se relever en crééant une nouvelle région

Par le passé, le palais de bambous de l'ancien royaume de Kaffa, dans le sud-ouest de l'Ethiopie, accueillait de grandes festivités et ses réserves recelaient d'or et de cuirs de boeuf.

AFRICA RADIO

28 septembre 2021 à 11h06 par AFP

Bonga (Ethiopie) (AFP)

Aujourd'hui, les descendants de la famille royale parviennent à peine à assurer la maintenance du bâtiment et les dirigeants de ce qui est devenu la zone administrative de Kaffa manquent de ressources, même pour les travaux les plus rudimentaires.

Pour ses habitants, le déclin de Kaffa, royaume couvert de forêts autrefois surnommé le "Tibet de l'Afrique", souligne combien la région des Nations, Nationalités et Peuples du Sud (SNNP), à laquelle il appartient, est négligée par Addis Abeba.

Mais les dirigeants de Kaffa ont une solution: jeudi, un référendum proposera de créer une nouvelle région, la 11e d'Ethiopie, appelée Sud-Ouest et composée de Kaffa et de cinq zones administratives proches.

Constituer leur propre région, défendent-ils, leur amènera plus de fonds et plus de contrôle sur leurs dépenses.

"Dans le reste du pays, tout est en train de grandir et de changer.Quand je compare Kaffa à d'autres endroits, (nous sommes) en retard", affirme Girma Kidane Gallito, descendant du dernier roi de Kaffa.

Les responsables locaux assurent que le vote se déroulera dans le calme. 

Tensions et violences régionalistes ont ^pourtant agité ces dernières années le pays, en SNNP ou en Oromia, région la plus peuplée d'Ethiopie: un défi de taille pour le pouvoir fédéral qui mène par ailleurs une guerre face aux rebelles du Tigré.

- Offensive de charme -

Dans cette région du Nord du pays, l'armée éthiopienne combat depuis dix mois les rebelles issus du Front de libération du peuple du Tigré (TPLF).Ce parti, qui a longtemps contrôlé les leviers du pouvoir à Addis Abeba, a créé le découpage régional que critiquent les habitants de Kaffa. 

Peu après avoir pris le pouvoir en Ethiopie au début des années 1990, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF), une coalition dominée par le TPLF, a divisé le pays sur des bases ethniques, en neuf régions semi-autonomes. 

Si la Constitution de 1995 permet à tout groupe d'ethnique de réclamer un référendum pour former une nouvelle région, le gouvernement fédéral a longtemps refréné toute velléité, parfois violemment.

En 2018, les réformes lancées par Abiy Ahmed, nommé Premier ministre au terme de grandes vagues de manifestations contre le pouvoir fédéral, ont ravivé les ambitions autonomistes en SNNP, mosaïque d'ethnies.

Rapidement, plus de 10 groupes ethniques ont demandé un vote pour quitter la région, menaçant de déstabiliser cette partie du territoire où vivent environ un cinquième des 110 millions d'Ethiopiens.

En 2019, les Sidama ont quitté la SNNP et créé la 10e région éthiopienne, à l'issue d'un référendum précédé de violences. Les Wolaita, dont la zone est également touchée par des violences, attendent eux toujours un référendum.

Dans l'ex-royaume de Kaffa, les ambitions autonomistes sont jusqu'ici restées pacifiques. 

En 2019, le Premier ministre est venu visiter Bonga, la principale ville, s'adressant, vêtu des couleurs traditionnelles kaffa - bleu, rouge et vert -, à une foule immense. 

Il a prévenu que la création d'une nouvelle région ne résoudrait pas par magie les problèmes de Kaffa, mais un accord a été rapidement conclu pour l'organisation d'un référendum. 

La proposition de nouvelle région sera probablement massivement soutenue par les quelque 900.000 électeurs, ce qui sera porté au crédit du Premier ministre. 

L'ancien gouvernement fédéral dominé par le TPLF "n'avait aucune volonté de répondre à quelque demande de liberté que ce soit", soutient Berhanu Woldie, directeur d'école, "c'était un régime répressif, et ils n'étaient pas de bons dirigeants".

- Craindre la "désintégration" -

M. Abiy s'appuie sur cette popularité locale dans la guerre au Tigré.

Des milliers de jeunes hommes et femmes de Kaffa ont rejoint l'armée et les habitants ont donné du bétail, envoyé sur le front, affirme Tekalign Haileyesus, qui travaille au sein de l'administration de Kaffa. 

Outre des affiches de promotion du référendum - représentant six mains se rejoignant -, des posters de M. Abiy et d'unités militaires d'élite, barrés de slogans tels "Je suis un soldat pour mon pays", décorent les rues de Bonga. 

Pour Kulle Karsha, analyste et professeur à l'université d'Hawassa, dans la nouvelle région Sidama, la pérennité de la popularité du Premier ministre dépendra des bénéfices tirés de la nouvelle région. 

"Si les infrastructures de base sont installées et que la voix des gens est entendue, alors il n'y a pas à craindre de désintégration" du pays, poursuit-il.

Mais si le désir d'autonomisation ne se traduit pas par une vie meilleure, "alors l'instabilité ou les crises arriveront".