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La désinformation pollue le débat sur les OGM au Kenya

La décision du gouvernement kényan d'autoriser l'importation de maïs génétiquement modifié, après dix ans d'interdiction, a déclenché une vague de désinformation dans ce pays d'Afrique de l'Est, alimentée par les déclarations à l'emporte-pièces de responsables politiques rivaux.

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6 juin 2023 à 9h51 par AFP

Nairobi (AFP)

L'administration du président William Ruto, élu en août 2022, a autorisé en octobre l'importation et la culture d'organismes génétiquement modifiés (OGM), interdites depuis 2012, notamment pour faire face à la sécheresse historique qui ravage la Corne de l'Afrique.

Bien que la justice ait suspendu la décision, le temps de statuer sur le recours d'une association d'agriculteurs qui l'estiment illégale, les Kényans "sont exposés à la pire désinformation" possible sur les cultures OGM, déplore dans une étude récente l'Alliance pour la science, un projet financé par la Fondation Bill & Melinda Gates.

La principale source des commentaires faux ou trompeurs sur ce sujet sont les déclarations de "responsables politiques kényans de premier plan", relayées ensuite par les médias, selon ce rapport.

"Les deux camps dans ce débat, ceux qui sont pour les OGM comme ceux qui sont contre, ont dans une certaine mesure propagé ce type de désinformation", résume Anne Maina, coordinatrice de l'Association kényane pour la biodiversité et la biosécurité (BIBA).

L'opposant historique Raila Odinga a ainsi affirmé dans une intervention publique le 7 mai, dont la vidéo est devenue virale sur Facebook, que la consommation de nourriture issue de cultures OGM ferait pousser des seins aux hommes et des testicules aux femmes.

Les experts, dont ceux de l'Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA), considèrent qu'il n'existe aucun indice scientifique de changement de sexe chez les humains causé par la consommation de nourriture OGM.

Quant à l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), elle indique que les aliments OGM disponibles sur le marché sont conformes aux règles de sécurité et peu susceptibles de se révéler nocifs.

- "Se bagarrer" -

Il y a plus d'une décennie, quand il était Premier ministre, M. Odinga se montrait plutôt favorable aux OGM.Mais il explique qu'il s'appuyait alors sur des "informations limitées" et être maintenant convaincu qu'ils provoquent des mutations.

Ekuru Aukot, candidat à l'élection présidentielle de 2017, a pour sa part écrit l'année dernière sur son compte Twitter suivi par 350.000 personnes que la levée de l'interdiction d'importation des OGM revenait à "nourrir les gens avec du poison au motif de leur sauver la vie".

A contrario, le président Ruto, lui-même ancien ministre de l'Agriculture, s'est hasardé dans une interview télévisée en janvier à assurer que l'Afrique du Sud et les Etats-Unis étaient "à 100 % OGM".

En réalité, l'Afrique du Sud n'a autorisé que trois semences OGM, tandis que les supermarchés américains vendent des produits issus de l'agriculture biologique en même temps que des produits OGM clairement identifiés comme tels.

"Au Kenya, nous avons des hommes politiques dont l'activité essentielle consiste à se bagarrer.Puisque le président actuel a dit que les OGM étaient sûrs, le jeu (de ses adversaires) est logiquement de s'y opposer", commente Joel Ochieng, principal chercheur en biotechnologie agricole à l'Université de Nairobi.

La plus grande inquiétude sanitaire liée aux OGM vient plutôt des effets toxiques de l'utilisation des herbicides à base de glyphosate qui leur sont souvent associés, comme ceux de la marque Roundup, souligne-t-il.

Le Kenya avait interdit en 2012 la culture d'OGM notamment pour protéger les petites exploitations, majoritaires dans le pays, dont l'agriculture représente le premier secteur économique, avec 21 % du PIB, selon les statistiques officielles.

Cette décision lui avait notamment valu des critiques des Etats-Unis, importants producteurs d'OGM.

Festus Kavita un agriculteur de Machakos, à environ 65 km au sud-est de Nairobi, la capitale, craint que les joutes politiques n'occultent les problèmes du pays.

"C'est un débat perdant-perdant à mon avis", soupire-t-il, "parce qu'il passe à côté des véritables solutions".