« Le président Talon n’a pas attendu l'arrivée du président Macron pour libérer déjà une première vague de détenus politiques » (Analyste)
Au Bénin, une trentaine de détenus politiques qui avaient été arrêtés lors des tensions post -électorales de 2021 ont été libérés mercredi. Leur élargissement est intervenu alors que le président français en visite dans le pays. La décision de la justice béninoise peut–elle être le résultat d’une quelconque pression du président Macron sur son homologue ? Ecoutez l’analyse de Roméo FANGNINOU, consultant formateur en gouvernance démocratique et analyste politique qui répond à Lilianne Nyatcha.
1er août 2022 à 14h50 par Lilianne Nyatcha Africa radio
A-t-il pu jouer un rôle dans l'élargissement de ces prisonniers politiques?
Cette libération des trente détenus politiques participe globalement à une démarche de pacification du climat, et c'est une démarche qui a été enclenchée déjà au plan interne. Vous savez, le président Talon n’a pas attendu l'arrivée du président Macron pour libérer déjà une première vague de détenus politiques.
En effet ….D'autres prisonniers politiques avaient été déjà libérés après sa rencontre avec son prédécesseur Thomas Boni Yayi….
Bien-sûr, c'est pour vous dire que cette libération participe d'une dynamique interne. C'est vrai que cette libération qui coïncide avec l'arrivée du président Macron peut paraître comme une pression mais en réalité pour moi qui connais le président Talon, ce n'est pas un homme sous pression. C'est certainement une décision qui avait été prise, une décision qui avait été préparée et donc à l'occasion, ça apparaît comme un gage donné par le président Macaron, mais jamais une pression n'a été exercée sur lui, ça c'est ce que je crois.
Vous dites que même s'il n'y a pas eu de pression de la part d'Emmanuel Macron sur son homologue , la coïncidence questionne tout de même d'autant plus que le sujet des prisonniers politiques a été abordé lors de la conférence conjointe donnée par les deux chefs d'Etat….
Bien-sûr, comme on pouvait s'y attendre ça doit faire d'ailleurs partie des questions essentielles qui ont été abordées .Mais voyez-vous, ces détenus qui ont été libérés si vous le permettez ne sont pas les majeurs, il faut le dire ici, ne sont pas parmi les gros morceaux et donc libérer ces personnes et je répète , n'est pas venu sous une forme de pression de quiconque. Et je pense d'ailleurs, qu'il faut commencer par relativiser et arrêter de croire que la pression peut forcément venir d'ailleurs, que la pression peut continuer à venir tout le temps sur le gouvernement africain et pour ce qui concerne le président Talon, il ne le fera pas ainsi. Ça a été une décision. Il ne faut pas minimiser dans ce contexte tout ce que le président Boni a eu à faire à l'interne. Toutes ces démarches avec les anciens présidents sont surtout que le président Boni Yayi qui a aussi fait des concessions et qui a produit un message pour dire qu'il a fait toutes ces démarches dans le sens de la décrispation de la situation politique nationale. Et ce n'est pas terminé, le président Talon lui-même a reconnu ne serait-ce qu'une première fois, publiquement pendant la conférence, que l'image du Bénin était écorchée à l'international par rapport à cette question des détenus. Donc c'est une préoccupation nationale.
Et justement, pour réparer cette image du Bénin, pourrait-il dans la même dynamique, gracier les opposants Joël Aïvo et Reckya Madougou ?
Pour nous qui l'avons suivi, je pense qu'on est resté un peu sur notre faim sinon on était un peu étonné. Vous savez, l'opinion nationale a vraiment le regard tourné vers la fête de l'indépendance et qui dit fête de l’indépendance dit l'occasion d'accorder une grâce présidentielle à certains détenus notamment à ces deux gros là. Mais comme le président Talon qui dit que « ça va arriver ou après moi », ça veut dire qu' implicitement il nous dit « n'attendez pas ça pour maintenant ». Le porte-parole avait été clair, il a dit qu'on aurait des surprises pendant ces fêtes d'indépendance. Donc c'est bien possible. Même si le président n'a pas laissé clairement ouverte cette porte pour cette fête là, c'est bien possible que cela vienne. Mais sous quel format ? Pendant ce temps, nous ne le savons pas même si l'opinion nationale s'attend toujours à ce que cela soit fait pour cette fête de l'indépendance.
Est-ce que cette vague de libération peut réellement contribuer à l'apaisement du climat politique sachant qu'ils ont été placés sous contrôle judiciaire ?
Ceux qui sont libérés sont des personnes qui sont en détention provisoire. Ce sont des personnes qui n'ont pas encore été condamnées. D'ailleurs d'anciens ont été libérés et ont été placés sous contrôle judiciaire. Tout ça c'est pour dire que vous voyez, c'est la justice qui est entrain de faire son travail, ce n'est pas forcément donc une intervention politique qui décide de ce qu'il faut faire.
Mais est-ce que ce n'est pas une façon de continuer à mettre sous surveillance ces anciens détenus politiques ?
Oui mais bien-sûr. Ecoutez, c'est quand même à la justice de décider et je voulais d'ailleurs dire avant de terminer, qu'on ne serait pas étonné d'entendre que sous peu, il y ait des ordonnances de non-lieu contre ces personnes là. Mais c'est déjà un pas que de leur accorder cette libération conditionnelle, de leur permettre de regagner leur famille, de passer la fête nationale en famille. Après on a forcément grillé des décisions de justice qui viennent les libérer de toutes ces charges qui sont reconnues contre elles, mais nous prenons ce qui est arrivé. Et donc nous encourageons et les forces nationales et aussi l'opinion internationale à avoir ce regard là et à continuer à demander au président de la république de faire le pas nécessaire, le pas décisif, de permettre donc à ceux-là qui sont à l'intérieur et qui sont emprisonnés pour leur opinion. Et aussi à ceux qui sont dehors de pouvoir rentrer.
Vous pensez qu'il pourrait envisager un éventuel retour de l'opposant Sébastien Ajavon au Bénin ?
Oui, parce qu'il y en a plusieurs. Ça c'est le vœu de tous. Nous voulons repartir dans l'esprit de la conférence nationale où tout le monde revient ensemble. C'est l'esprit de la conférence de 1990 qu'on doit vivre ensemble. C'est ce à quoi nous nous attendons.
Cette unité ou cette réconciliation de la classe politique que vous appelez de tous vos vœux est-elle possible, peut-être avant les législatives prévues en janvier prochain?
Tous ces gestes qu'on voit du chef de l'Etat c'est d'une manière ou d'une autre pour prévenir, pour faire en sorte que les législatives de 2023 ne ressemblent à rien à celles de 2019 en ce qui concerne les tensions politiques qu'il y a eu. Après, les méthodes et les moyens qui sont choisis sont laissés à sa discrétion. Mais je crois savoir que, lui-même avec ce qui s'est passé, pour son image qui a été envoyée, que ce n'est pas une bonne image. Et donc il essaie aussi d'une manière ou d'une autre de prévenir. Après, est-ce qu'on peut s'attendre à une ouverture générale ? Je n'y crois pas forcément.