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« Même nos autorités savent que les conditions des détenus sont infernales » à la prison centrale de Libreville (activiste)

Lionel Ella Engonga, président de SOS prisonnier Gabon, une association d'assistance juridique aux prisonniers, dénonce les difficultés qu'il rencontre depuis quelques temps pour accéder à la prison de Libreville. Selon lui, il subirait des représailles des responsables du pénitentiel qui n’auraient pas apprécié certains de ses propos.

Lionel Ella Engonga, président de SOS Prisonniers du Gabon

30 mai 2022 à 17h04 par Contenu web

 

Cela fait bientôt deux semaines que vous n'êtes plus autorisé à accéder   à la prison centrale de Libreville, que  vous  reproche exactement des responsables de ce pénitencier ? 

 Tout part depuis le dimanche 8 mai lorsque je me suis rendu à la prison centrale de Libreville, comme chaque jour de visite. Malheureusement, ce jour, on me fait comprendre que je ne pourrai pas avoir le permis de communiquer, j’ai fait encore deux tentatives vaines, car on me fait comprendre que le directeur de la prison aurait décidé que le délai pour communiquer aux prisonniers aurait expiré.  

 

 En avez-vous été notifié ? 

 Je n'ai jamais été notifié. Il faut rappeler que ce n’est pas la première fois que l’administration pénitentiaire décide de mesures restrictives pour empêcher les discussions avec les prisonniers. Des fois nous arrivons au portail, le directeur nous dit que nous ne pouvons pas passer aujourd’hui, et la semaine d’après on nous laisse entrer, puis deux jours après on nous l’interdit encore. On a l’impression que tout se passe en fonction de leurs humeurs.  

Depuis 2022, nous sommes à la quatrième suspension à la prison centrale. On n’a jamais été notifié une seule fois parce que tout se passe selon l’humeur de l’administration carcérale.  

 

Comment expliquez-vous alors cette situation, à quoi serait-elle due? 

D’après les agents qui m'ont dit que le directeur aurait donné l’ordre  de m'interdire l’accès aux prisonniers, cette nouvelle mesure date de l’article de SOS prisonnier qui faisait suite au décès d’un prisonnier le 1 mai 2022. Il est décédé au cours d'une bagarre avec un codétenu parce qu’ils se disputaient une place pour dormir. SOS prisonniers a rendu cette affaire publique, on a fait des communiqués de presse.  Malheureusement  l'administration pénitentiaire n'aurait pas apprécié nos déclarations et voici comment elle nous sanctionne de la plus dure des manières. Et celles-ci s’accompagnent aussi de menaces, d'intimidations. Ils m’ont fait comprendre que je suis encore jeune, que je dois faire attention à ma vie. 

 

Donc vous pensez que vous serez victime de représailles ? 

 Je suis déjà victime de représailles, mais ils n’ont pas encore eu atteinte à mon intégrité physique. Cette fois encore ils m’ont répété qu’il fallait que je fasse attention à ma vie.  Ils  m'ont  fait  comprendre  que nos  publications dérangeaient l’administration pénitentiaire.   

 

En fait, quelles sont les conditions de détention dans les prisons gabonaises plus généralement et singulièrement dans la prison centrale de Libreville que vous visitez souvent ? 

Au niveau de la prison centrale de Libreville, je vais vous dire  comment ,sans langue de bois, personne n'ignore les conditions de détention, même nos autorités savent que les conditions des détenus sont infernales. 

Je vais vous prendre un exemple concret. Au niveau où il y avait la bagarre, le détenu qui est décédé le 1er mai, il  était  au  deuxième  quartier  de  la  prison centrale. Et dans ce même quartier, il y a 500 détenus, sur les 500 détenus, 372 sont en détention privée préventive. Donc  vous  voyez  que  plus de la moitié sont en attente de jugement,  ce  qui  favorise  la  surpopulation carcérale. Au niveau des commissions d'études des prisonniers, un matelas d’une place est réservé à 4 ou 5 détenus par rotation. Par exemple de 22 heures à 23 heures, il y a X qui dort, puis de 23h à 1h du matin, c’est Y qui dort. Voici comment a été générée la bagarre entre les deux codétenus. Les conditions sont vraiment infernales dues à la surpopulation carcérale.  

 

En décembre dernier, les femmes détenues ont protesté contre l'administration pénitentiaire pour dénoncer le durcissement de leur condition carcérale. Quelle est la situation particulièrement des femmes détenues au Gabon ? 

Effectivement ces femmes ont demandé  de  meilleures  conditions  de détention  en décembre 2006, notamment le 8 décembre lors de la journée internationale des droits humains.  Ces femmes revendiquaient de meilleurs conditions et l'accès à la justice parce que parmi elles, certaines ont dix ans de détentions préventives, sept ans, huit ans sans être jugées. 

Elles sont nourries avec une cuisse de poulet et une baguette de pain par jour. C’était le régime alimentaire de ces femmes. 

Dieu merci, le mois dernier, ces femmes ont changé de quartier, le gouvernement a inauguré un nouveau quartier moderne qui répond aux besoins des détenues, aux besoins des droits humains. 

Et je vais vous dire que parmi ces femmes en détention qui ont revendiqué en décembre 2021, trois femmes après ce mouvement ont été envoyées à l'intérieur  du pays  parce que l'administration  pénitentiaire  ne veut pas entendre un son de cloche qui revendique meilleures conditions de détention. La porte-parole de cette femme,  a été envoyée  à l'intérieur du pays à plus de 600km de sa famille. Nous avons interpellé le ministre de la Justice pour dénoncer ces mesures arbitraires. Ce sont des exemples de représailles.  

 

Certaines de ces prisonnières dénonçaient aussi des fouilles, qui selon elles,parfois se transformaient en attouchements sexuel, en injures.  Est -ce  que  vous  avez  recensé des cas de viols de prisonnières ? 

Moi je vais vous dire, au niveau de la prison centrale, les femmes ont leur quartier. Le quartier des femmes est géré par des  femmes  de  la  sécurité pénitentiaire. Les hommes n'arrivent pas au quartier des femmes sauf par mesures exceptionnelles. 

Donc au niveau des cas d’attouchements ou de viols, SOS prisonnier-Gabon n’a pas encore recensé un seul cas. Nous qui  sommes  en  contact  quotidien avec ces femmes, elles ne nous ont jamais révélé qu’elles avaient été touchées.  Donc sur ce sujet, nous n’avons pas plus d’informations. 

 

Quels sont les besoins les plus urgents des prisonniers au Gabon ? 

 Le besoin urgent aujourd’hui  c’est d’avoir accès à la justice. 

J'ai des cas qui ont treize ans de détention préventive. Au niveau des femmes, il y en a une qui elle est à la prison centrale depuis plus de dix ans et cette femme présente aujourd'hui un état de déséquilibre mental, parce qu’elle ne croit qu’elle n’accédera plus jamais à la liberté.  

Donc le premier besoin du prisonnier gabonais, c’est d’avoir accès à la justice, au-delà des mauvaises conditions de détention. Ils  veulent  d'abord  être  jugés  au moins pour leur préservation psychologique. Il faut savoir s’ils sont condamnés à cinq ans, à un an, ou reconnus non coupables. Mais quand vous gardez une personne pendant dix ans de façon préventive, ils violent la présomption d'innocence. 

« Même nos autorités savent que les conditions des détenus sont infernales » - Lionel Ella Engonga