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"Pas de table, juste des chaises !", s'exclame la propri&eacute;taire de ce bistrot de Libreville, qui accueille &agrave; la sauvette les clients malgr&eacute; le confinement impos&eacute; au Gabon pour lutter contre le nouveau coronavirus.
Depuis trois mois, bars, restaurants et discoth&egrave;ques doivent rester ferm&eacute;s.
Mais, sorti du Libreville des cartes postales en front de mer, o&ugrave; les &eacute;tablissements luxueux pour cadres gabonais et &eacute;trangers fortun&eacute;s ont bien baiss&eacute; leur rideau de fer, les &eacute;clats de rire autour des tourn&eacute;es de Regab, la bi&egrave;re locale, n'ont jamais cess&eacute; de r&eacute;sonner dans les quartiers populaires.
Une r&eacute;sistance qui met en exergue le r&ocirc;le des bars, un exutoire vital bien plus qu'un simple endroit o&ugrave; s'alcooliser, soutient le sociologue gabonais Jean-Emery Etough&eacute;-Ef&eacute;.
"Allons chez Alba, c'est l&agrave; qu'il y a l'ambiance", enjoint Oscar, 33 ans, qui &eacute;cume les "maquis" (bars-restaurants de quartier) dans un des "bas-fonds" de Libreville.
Depuis trois ans, cette femme de 33 ans tient un &eacute;tablissement "au bord du goudron", la route asphalt&eacute;e.L'unique revenu de cette m&egrave;re de famille qui doit continuer &agrave; payer le loyer de son bistrot.

- "Payer le coca" -

Au d&eacute;but, on &eacute;teignait lumi&egrave;re, musique et cigarettes au passage de la police."Mais faire taire les so&ucirc;lards n'&eacute;tait pas facile", dit-elle.&nbsp;Il fallait alors "payer le coca" aux policiers.&nbsp;
Pour arr&ecirc;ter de distribuer ces bakchichs, Alba a finalement d&eacute;m&eacute;nag&eacute; son commerce dans sa maison nich&eacute;e dans les d&eacute;dales du quartier.Pour y acc&eacute;der, il faut s'&eacute;lancer dans un labyrinthe de baraques d&eacute;labr&eacute;es, slalomer entre les cabanes en t&ocirc;le, contourner d'immense flaques de boue...
L&agrave;, les clients d&eacute;filent par dizaines: jeunes ch&ocirc;meurs, carreleurs, militaires et m&ecirc;me un magistrat."Tout le monde est bien chez moi", dit-elle fi&egrave;rement.
Dans ces "bas-fonds" ou "mapanes", comme on appelle ici les quartiers pauvres, "o&ugrave; il n'y a rien, pas de cin&eacute;ma ou de parcs, que faire d'autre que d'aller au bar ?", interroge M. Etough&eacute;-Ef&eacute;, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (Cenarest).
Depuis les ann&eacute;es 1970, Libreville conna&icirc;t une urbanisation fulgurante.Environ 800.000 personnes, plus de la moiti&eacute; des Gabonais, r&eacute;sident dans la capitale.
Faute de place, les plus pauvres s'entassent dans le creux de ses collines ou dans ses cuvettes mar&eacute;cageuses.&nbsp;Les logements sont "exigus, mal a&eacute;r&eacute;s, alors, c'est au bar qu'on peut s'&eacute;vader", explique le sociologue, qui a publi&eacute; "Les bars populaires de Libreville" aux &eacute;ditions L'Harmattan.
"Rester enferm&eacute; est un cauchemar, j'&eacute;touffe" chez moi, acquiesce Serge, militaire de 45 ans qui commande un soda.

- Tribune politique -

"L'urbanit&eacute; au Gabon est tr&egrave;s empreinte de la culture villageoise, on vit dehors et le foyer n'est que l'endroit o&ugrave; dormir", r&eacute;sume M. Etough&eacute;-Ef&eacute;.Le bistrot s'apparente &agrave; ces espaces des villages o&ugrave; les hommes se rassemblent pour discuter des affaires de la communaut&eacute;.Il est aussi le lieu par excellence de la "tribune politique".
Chez Alba, "la politique est le sujet num&eacute;ro un", affirme l'un des clients: l'opposition, "n'est ni &agrave; la t&eacute;l&eacute; ou m&ecirc;me &agrave; l'Assembl&eacute;e, c'est dans les bars que vous la trouverez".
Entre deux tourn&eacute;es, on ne cesse de rejouer 2016: l'ann&eacute;e o&ugrave; le pr&eacute;sident Ali Bongo Ondimba a &eacute;t&eacute; r&eacute;&eacute;lu lors d'un scrutin controvers&eacute;.Dans ce quartier, "on r&ecirc;ve d'alternance" pour le pays dirig&eacute; depuis 52 ans par la famille Bongo, ajoute le client.
Mais "le coronavirus a r&eacute;ussi &agrave; d&eacute;tr&ocirc;ner la politique", soutient la tenanci&egrave;re.Ici, personne ne porte le masque, obligatoire dans tous les lieux publics, et certains pensent que le virus est une invention.
Le Gabon compte officiellement plus de 4.000 cas de Covid-19, dont 27 morts.Mais plus qu'une maladie qui s'attaque aux poumons, le Covid-19 est, pour eux, un mal qui troue des poches d&eacute;j&agrave; vides.
"C'&eacute;tait d&eacute;j&agrave; pas facile, mais imaginez maintenant", explique Ga&euml;l, jeune sans emploi qui sirote depuis une heure sa bi&egrave;re devenue chaude.
Un Gabonais sur trois vit sous le seuil de pauvret&eacute;.Le&nbsp;pays est pourtant l'un des plus riches d'Afrique gr&acirc;ce &agrave; son p&eacute;trole, mais la corruption y est end&eacute;mique, l'&eacute;conomie peu diversifi&eacute;e et les emplois pour les jeunes rares."C'est au bar qu'on fait son r&eacute;seau et qu'on trouve du boulot", ajoute le sociologue.
Ga&euml;l n'a pas trouv&eacute; "de bricoles" aujourd'hui, mais il peut au moins compter sur la g&eacute;n&eacute;rosit&eacute; d'un client plus fortun&eacute; qui annonce une tourn&eacute;e g&eacute;n&eacute;rale.
Tr&egrave;s vite, les conversations enflamm&eacute;es reprennent, les tirades politiques se font plus percutantes et les &eacute;clats de rire plus vifs.La Regab porte bien son surnom: "Regarder les Gabonais Animer les Bars".

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