JDA libre antenne du 13 09 2024

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L'animal a surgi au détour d'un chemin poussiéreux, sous le soleil ambré de cette fin d'après-midi sud-africain.Enorme, le dos crouté de boue, toutes défenses dehors.Manifestement contrarié, il déploie sa trompe pour renifler l'intrus.

"S'il s'avance le long du v&eacute;hicule, restez calme, il ne vous arrivera rien", chuchote le guide, les deux mains agripp&eacute;es au volant de son 4x4 silencieux.
L'&eacute;l&eacute;phant s'approche &agrave; en toucher la carrosserie.Quelques secondes de face-&agrave;-face suffisent &agrave; le convaincre que notre pr&eacute;sence ne vaut pas le d&eacute;rangement.Et d'un lent demi-tour d&eacute;daigneux, il repart &agrave; son go&ucirc;ter, en nous offrant sa croupe frip&eacute;e en guise de carte de visite.
"C'est vraiment magnifique", sourit Gert Kruger."Vraiment, qui pourrait r&ecirc;ver d'un meilleur endroit pour &ecirc;tre confin&eacute;..."
Depuis dix-sept ans qu'il prom&egrave;ne ses clients par monts et par vaux du "bush" de la r&eacute;serve priv&eacute;e de Balule, le long du parc Kruger (nord-est), ce Sud-Africain de 49 ans ne s'est jamais lass&eacute; de la magie de ces rencontres.
Les poches de son short kaki d&eacute;bordent d'anecdotes de lions grommelant et de rhinoc&eacute;ros intemp&eacute;rants.Jusqu'&agrave; ces derni&egrave;res semaines, il comptait bien en rajouter d'autres, &agrave; en faire &eacute;clater les coutures.
Mais voil&agrave;, la pand&eacute;mie de coronavirus a tout chang&eacute;.
A peine le pr&eacute;sident Cyril Ramaphosa avait-il annonc&eacute; la fermeture des fronti&egrave;res &agrave; la mi-mars que les touristes ont d&eacute;sert&eacute; son camp, paniqu&eacute;s.L'ordre de confinement qui a suivi deux semaines plus tard a laiss&eacute; Gert Kruger seul au milieu de ses tentes vides, d&eacute;sempar&eacute;.
"Le coronavirus nous a tous caus&eacute; un choc terrible, nous qui travaillons dans le tourisme.C'est notre pain quotidien", dit-il."Des clients ont fait leurs bagages et ont d&ucirc; &eacute;vacuer en deux jours pour rentrer chez eux".
- Guerre au braconnage -
Son camp affichait pourtant complet pour la haute saison, celle des vacances d'&eacute;t&eacute; des visiteurs de l'h&eacute;misph&egrave;re nord.
L'an dernier, lui et ses six salari&eacute;s avaient accueilli 700 amateurs de safari."L&agrave;, on a d&ucirc; annuler beaucoup de r&eacute;servations pour le reste de l'ann&eacute;e et pour 2021".
En une poign&eacute;e de jours, toutes les chambres de la r&eacute;gion se sont vid&eacute;es, les boutiques &agrave; souvenirs ont tir&eacute; leur rideau de fer et les tout-terrain p&eacute;taradant charg&eacute;s d'Europ&eacute;ens ou de Nord-Am&eacute;ricains bard&eacute;s d'appareils photo ont rejoint leurs garages.
D&eacute;sormais, seuls les v&eacute;hicules de patrouille sillonnent encore les pistes des 55.000 hectares de la r&eacute;serve de Balule.Encore plus qu'en temps normal, m&ecirc;me.Car, confinement ou pas, prot&eacute;ger les animaux est rest&eacute;e une priorit&eacute; absolue.
"On ne peut pas se permettre de r&eacute;duire la s&eacute;curit&eacute;", explique le directeur de la r&eacute;serve, Ian Nowak.
"Nous devons tout faire pour pr&eacute;server la vie sauvage et son &eacute;cosyst&egrave;me, qui sont notre mati&egrave;re premi&egrave;re", souligne le quadrag&eacute;naire au regard bleu acier, "si tout &ccedil;a dispara&icirc;t, personne ne pourra red&eacute;marrer".
Pas question de renvoyer les "rangers" chez eux, donc."Nous n'avons licenci&eacute; personne, tous les gars sont pay&eacute;s", dit Ian Nowak.La plupart sont rest&eacute;s confin&eacute;s dans la r&eacute;serve, pour continuer &agrave; y faire la guerre aux braconniers.
"La menace qui p&egrave;se sur les rhinoc&eacute;ros n'a pas chang&eacute; (...) les criminels trouvent toujours un moyen de s'introduire ici, (les cornes) gardent toute leur valeur sur le march&eacute;", rappelle-t-il, "alors on continue &agrave; se battre comme avant".
Preuve en est, la police nationale a encore annonc&eacute; dimanche l'arrestation de trois personnes en possession de six cornes de pachydermes dans la province voisine du Mpumalanga.
- 'Chasser pour manger' -
Et puis le confinement a fait poindre une autre menace que celle des gangs pr&ecirc;ts &agrave; tuer pour nourrir l'app&eacute;tit insatiable de la m&eacute;decine traditionnelle asiatique.
"C'est ce que j'appelle le braconnage de viande de brousse", explique le patron de la r&eacute;serve."Ces gars-l&agrave; n'ont plus de boulot &agrave; cause du confinement, ils ont faim, alors ils chassent pour manger.Ils se moquent de la protection de la nature, ils veulent juste survivre".
Ian Nowak dit ne pas avoir not&eacute; de hausse de ce type de criminalit&eacute; d&eacute;sesp&eacute;r&eacute;e sur ses terres.Mais pour le jeune v&eacute;t&eacute;rinaire d'Etat de la r&eacute;gion, Christiaan Steinmann, il ne fait aucun doute.
"C'est incontestable, le braconnage augmente, les gens braconnent pour la viande", constate-t-il, "certaines r&eacute;serves pr&eacute;f&egrave;reraient donner la viande aux populations mais &agrave; cause de la loi (qui impose des normes), elles ne le font pas".
Pour contrer toutes ces menaces, donc, les dizaines de "rangers" de Balule ne ch&ocirc;ment pas.
En charge d'une des zones de la r&eacute;serve, le chef Rian Ahlers, 39 ans, s'appr&ecirc;te &agrave; partir en patrouille avec deux de ses hommes au c&oelig;ur du "bush".
"On patrouille encore plus qu'avant le confinement", dit-il du haut de ses vingt ans d'exp&eacute;rience.
"Les camps sont vides, on n'a plus de touristes, normalement leurs guides nous informent s'ils voient quelque chose d'anormal.L&agrave;, on doit compenser leur absence".
Survols r&eacute;guliers de la brousse en h&eacute;licopt&egrave;re ou en avion, rondes des "soldats" en armes de l'unit&eacute; sp&eacute;ciale d'intervention, inspections syst&eacute;matiques des grillages &eacute;lectrifi&eacute;s qui encerclent la r&eacute;serve, rien n'est laiss&eacute; au hasard.
- 'Cl&eacute; sous la porte' -
Du haut d'une colline, le "ranger" Sam Hlungwani scrute &agrave; la jumelle la brousse qui se d&eacute;roule &agrave; ses pieds.Ravi de participer au combat, m&ecirc;me s'il n'a pas vu sa famille depuis un mois.
"Je ne veux surtout pas sortir du parc, j'ai trop peur du virus", confie le sexag&eacute;naire."Je prot&egrave;ge le parc (...) et j'attends que tout &ccedil;a soit fini.J'esp&egrave;re que &ccedil;a ne va pas durer trop longtemps", s'inqui&egrave;te-t-il toutefois, "sinon je vais finir par perdre mon boulot".
A quelques kilom&egrave;tres de l&agrave;, Juan Geerts lui aussi se ronge les sangs.Dans son "lodge" de cent lits vide, il fait et refait ses comptes, qui restent obstin&eacute;ment dans le rouge.
En un mois, les annulations de s&eacute;jours lui ont d&eacute;j&agrave; co&ucirc;t&eacute; 6,5 millions de rands (environ 315.000 euros), le quart de son chiffre d'affaires annuel.Et il tremble &agrave; l'id&eacute;e de devoir bient&ocirc;t se s&eacute;parer de ses 94 salari&eacute;s, qu'il a presque tous renvoy&eacute;s chez eux le temps du confinement.
"Pour l'instant on paie les salaires, m&ecirc;me si on a mis la cl&eacute; sous la porte jusqu'au 30 juin", soupire le patron du Nyati Lodge."Mais aucune entreprise ne va pouvoir garder longtemps tous ses employ&eacute;s, les licenciements sont in&eacute;vitables".
Pour chasser les id&eacute;es sombres qu'il rumine dans son camp envahi par les phacoch&egrave;res, Juan Geerts a commenc&eacute; &agrave; esquisser les tableaux de service de ses employ&eacute;s pour...juillet."Au-del&agrave;, peu d'entre nous survivront", plaide-t-il.
Il planche aussi sur l'accueil de ses premiers clients post-coronavirus.Masque obligatoire pour tous, cabanon de quarantaine, limitation des passagers par v&eacute;hicule...
"Garder la confiance des clients sera indispensable &agrave; toute reprise", souligne-t-il, "la s&eacute;curit&eacute; et le confort seront d&eacute;terminants pendant les mois qui viennent".
- 'Remonter la pente' -
"&Ccedil;a ne va pas &ecirc;tre facile de remonter la pente", confirme Sharon Haussmann, la pr&eacute;sidente &eacute;lue de la r&eacute;serve de Balule."On parle de six &agrave; douze voire dix-huit mois pour revenir au niveau de fr&eacute;quentation d'avant la crise".
En 2019, Balule a accueilli quelque 23.500 visiteurs.Le c&eacute;l&eacute;brissime parc national Kruger qu'il borde, ferm&eacute; depuis le 25 mars, plus de 1,7 million.
Et puis, calcule Sharon Haussmann, il faudra aussi combler les trous d'un budget presque exclusivement aliment&eacute; par les taxes de propri&eacute;taires fonciers et des industries du tourisme, tous touch&eacute;s de plein fouet par la crise.
"Avec l'interdiction des voyages, c'est un obstacle &eacute;norme", soupire-t-elle, "le d&eacute;fi le plus important auquel nous ayons jamais &eacute;t&eacute; confront&eacute;s, et on n'y &eacute;tait pas pr&eacute;par&eacute;s".
A l'ombre des arbres qui prot&egrave;gent son camp du soleil d'automne, Gert Kruger veut encore croire que le gouvernement ne le laissera pas tomber.
La semaine derni&egrave;re, le pr&eacute;sident Ramaphosa a annonc&eacute; le d&eacute;blocage d'une enveloppe jamais vue de 200 milliards de rands - 10 milliards d'euros - pour voler au secours des entreprises en difficult&eacute;.A commencer par celles du tourisme, qui contribuent &agrave; hauteur de 10% au produit int&eacute;rieur brut (PIB) du pays.
"On a demand&eacute; &agrave; avoir des aides mais, pour l'heure, on n'a pas eu de retour", rousp&egrave;te le petit patron."L'argent sera distribu&eacute;", a r&eacute;p&eacute;t&eacute; cette semaine la ministre du Tourisme, Mmamoloko Kubayi-Ngubane.
Mais Gert Kruger le sait, le tourisme n'est pas pr&egrave;s d'&ecirc;tre d&eacute;livr&eacute; du confinement, qui sera lentement lev&eacute; &agrave; partir du 1er mai.
"J'ai peur qu'on soit les derniers &agrave; repartir", redoute-t-il, "si les choses ne reviennent pas &agrave; la normale dans les trois prochains mois, il va falloir que je prenne des d&eacute;cisions".
Jusqu'&agrave; renoncer &agrave; sa vie au grand air et &agrave; dire adieu &agrave; "sa" r&eacute;serve ? "&Ccedil;a non", sourit-il, "je ne peux vraiment pas m'imaginer faire autre chose".

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