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La France, terre prisée des présumés génocidaires rwandais

Un "coup de tonnerre" et beaucoup de "questions": l'arrestation du "financier" du génocide rwandais près de Paris a jeté une lumière crue sur la présence ancienne et la traque tardive de présumés génocidaires en France, qui resta jusqu'au bout l'allié du dernier régime hutu du Rwanda.

"C'est un coup de tonnerre ! Kabuga arr&ecirc;t&eacute;, et arr&ecirc;t&eacute; en France!Cela fait 26 ans que Kabuga se cache...", l&acirc;che samedi le souffle coup&eacute; Alain Gauthier, 71 ans, cofondateur du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda (CPCR).
F&eacute;licien Kabuga, 84 ans, fut l'une des pi&egrave;ce-ma&icirc;tresse du g&eacute;nocide des Tutsi au Rwanda en 1994, en mettant sa fortune et ses r&eacute;seaux au service du financement des tueries, selon l'acte d'accusation de la justice internationale.
Alain Gauthier et son &eacute;pouse franco-rwandaise Dafroza - qui a perdu plusieurs membres de sa famille dans le g&eacute;nocide - ont commenc&eacute; il y a 23 ans un travail solitaire et colossal en qu&ecirc;te de justice.&nbsp;En 2001, ils ont cofond&eacute; le CPCR, avec l'objectif "de d&eacute;f&eacute;rer devant la justice fran&ccedil;aise les personnes soup&ccedil;onn&eacute;es d'avoir particip&eacute; au&nbsp;g&eacute;nocide" et "qui ont trouv&eacute; un accueil souvent trop complaisant sur le sol fran&ccedil;ais".
Les zones d'ombres sur le r&ocirc;le de Paris avant, pendant et apr&egrave;s ce g&eacute;nocide - qui fit selon l'ONU au moins 800.000 morts d'avril &agrave; juillet 1994, essentiellement au sein de la minorit&eacute; tutsi mais aussi parmi les Hutu mod&eacute;r&eacute;s - restent une source r&eacute;currente de pol&eacute;mique en France.
Parmi les points les plus disput&eacute;s figurent l'ampleur de l'assistance militaire apport&eacute;e par la France au r&eacute;gime du pr&eacute;sident hutu rwandais Juv&eacute;nal Habyarimana de 1990 &agrave; 1994 et les circonstances de l'attentat qui lui co&ucirc;ta la vie le 6 avril 1994, &eacute;l&eacute;ment d&eacute;clencheur du g&eacute;nocide.
En avril 2019, le pr&eacute;sident fran&ccedil;ais Emmanuel Macron a annonc&eacute; l'ouverture des archives fran&ccedil;aises concernant le Rwanda entre 1990 et 1994 &agrave; une commission d'historiens et un renforcement des moyens judiciaires pour poursuivre d'&eacute;ventuels g&eacute;nocidaires qui se trouveraient en France.

- "Liens ant&eacute;rieurs" -

Ce volet est sensible car plusieurs personnes soup&ccedil;onn&eacute;es par Kigali d'avoir jou&eacute; un r&ocirc;le r&eacute;sident en France, comme par exemple Agathe Kanziga, veuve de Juv&eacute;nal Habyarimana, que la justice fran&ccedil;aise a refus&eacute; d'extrader en 2011.Elle est souvent pr&eacute;sent&eacute;e comme l'une des dirigeantes de l'"akazu", le premier cercle du pouvoir hutu qui, selon ses accusateurs, a planifi&eacute; et mis en oeuvre le g&eacute;nocide.
Depuis une vingtaine d'ann&eacute;es, le couple Gauthier a transmis &agrave; la justice des informations sur "une trentaine de cas" de g&eacute;nocidaires pr&eacute;sum&eacute;s r&eacute;fugi&eacute;s en France.Ces proc&eacute;dures ont abouti &agrave; trois condamnations et plusieurs non-lieux.Les enqu&ecirc;tes - une trentaine - ont &eacute;t&eacute; longues et souvent tardives.
Pour Pierre Nsanzimana, pr&eacute;sident d'Ibuka France, association de soutien aux victimes du g&eacute;nocide, l'arrestation de Kabuga, "c'est vraiment une nouvelle &eacute;norme pour les rescap&eacute;s".&nbsp;"Mais &ccedil;a ne nous emp&ecirc;che pas de nous poser des questions sur les protections qu'il a pu avoir et sur le fait qu'il soit en France depuis si longtemps".
Florent Piton, chercheur &agrave; l'universit&eacute; de Paris, sp&eacute;cialiste de l'histoire du Rwanda, souligne que "l'arriv&eacute;e de proches de l'ancien r&eacute;gime en France est li&eacute; &agrave; l'existence de r&eacute;seaux ant&eacute;rieurs"."Je ne sais pas si on peut dire que la France a &eacute;t&eacute; une terre d'asile, mais elle a &eacute;t&eacute; une terre pris&eacute;e des g&eacute;nocidaires pr&eacute;sum&eacute;s, comme la Belgique, parce qu'il existait des liens institutionnels ant&eacute;rieurs".
"La France, au moment du g&eacute;nocide, a accueilli sur son sol des personnalit&eacute;s qui ont &eacute;t&eacute; montr&eacute;es du doigt, comme Agathe Habyarimana, qui est partie dans le premier avion qui a d&eacute;coll&eacute; de Kigali", poursuit-il.
Mais, nuance-t-il, "l'entrave &agrave; la justice ne passe pas forc&eacute;ment par une volont&eacute; politique, elle tient aux moyens qu'on lui donne"."En France, on a vu une diff&eacute;rence, avec une acc&eacute;l&eacute;ration des enqu&ecirc;tes, au moment de la cr&eacute;ation du p&ocirc;le +crimes contre l'humanit&eacute;+ en 2012", rel&egrave;ve-t-il."Les enqu&ecirc;tes sont &eacute;videmment facilit&eacute;es par le fait que les relations entre Paris et Kigali sont aujourd'hui plus fluides".
Mais Alain Gauthier interpelle: "Comment se fait-il qu'il ait fallu attendre 2018 pour que le parquet de sa propre initiative finisse par arr&ecirc;ter une personne soup&ccedil;onn&eacute;e d'avoir particip&eacute; au g&eacute;nocide?".

- "Photo vieille de 17 ans" -

"Ce n'est pas normal qu'il nous ait fallu 25 ans et que tous les dossiers qui sont sur les bureaux des juges jusqu'&agrave; l'ann&eacute;e derni&egrave;re&nbsp;sont des dossiers que nous avons apport&eacute;s", ass&egrave;ne-t-il.
Contact&eacute; par l'AFP, un ancien enqu&ecirc;teur de la gendarmerie fran&ccedil;aise explique sous couvert d'anonymat pourquoi ces enqu&ecirc;tes sont si difficiles: "Nous recherchions des suspects en fuite, qui avaient chang&eacute; d'identit&eacute;, qui bougeaient tout le temps et pour certains avaient beaucoup de ressources".&nbsp;
"Pour F&eacute;licien Kabuga (recherch&eacute; depuis 1997), nous avions une photo vieille de 17 ans.Il y a environ six ans, son &eacute;pouse vivait en Belgique, lui a &eacute;t&eacute; localis&eacute; successivement au Congo-Kinshasa, au Kenya", raconte-t-il."On a eu plusieurs fois des informations le situant en France.On a tent&eacute; de l'interpeller &agrave; Paris un soir de No&euml;l, il y a quelques ann&eacute;es, mais sans succ&egrave;s".
"C'est quand m&ecirc;me remarquable que la France l'aie arr&ecirc;t&eacute;: il y avait depuis des ann&eacute;es une notice rouge d'Interpol le concernant et tous les autres pays o&ugrave; il est pass&eacute; ont &eacute;chou&eacute;", note-t-il.
Pour Fran&ccedil;ois Graner, de l'association Survie, l'arrestation de Kabuga est "un tr&egrave;s bon signe d'activit&eacute; de la justice et de la gendarmerie fran&ccedil;aises".Mais elle "pose la question&nbsp;des soutiens fran&ccedil;ais dont b&eacute;n&eacute;ficient" ces pr&eacute;sum&eacute;s g&eacute;nocidaires.
"Pourquoi la justice p&eacute;nale ne s'int&eacute;resse pas plus &agrave; Agathe Kanziga, alors que la justice administrative (fran&ccedil;aise) a &eacute;tabli un r&ocirc;le grave au point qu'il &eacute;tait impossible de lui donner l'asile?", interroge-t-il.
La France n'a jamais extrad&eacute; aucun suspect de g&eacute;nocide au Rwanda.La veuve Habyarimana, install&eacute;e dans un petit pavillon en r&eacute;gion parisienne, "sans papiers mais pas expulsable" selon son avocat, a saisi la Cour europ&eacute;enne des droits de l'Homme.

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