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Le Ghana enterre Jerry Rawlings, ancien président, en pleine bataille pour son héritage politique

Le Ghana s'apprête à enterrer enfin son ancien président, Jerry Rawlings, mort le 12 novembre, dont les deux principaux partis du pays, récemment aux prises lors d'élections extrêmement serrées, se disputent toujours l'héritage.

Les hommages nationaux commencent dimanche et dureront quatre jours, avant les fun&eacute;railles le 27 janvier &agrave; Accra, la capitale.
D'abord pr&eacute;vues le 23 d&eacute;cembre, les obs&egrave;ques ont &eacute;t&eacute; annul&eacute;es au dernier moment, puis repouss&eacute;es de plus d'un mois, apr&egrave;s des batailles entre sa famille, les chefs traditionnels, et des responsables politiques.
Parvenu au pouvoir en 1981 apr&egrave;s deux coups d'&Eacute;tat successifs, Jerry "JJ" Rawlings s'y est maintenu pendant 19 ans, dont 11 ans de dictature militaire et deux mandats pr&eacute;sidentiels.Il reste aujourd'hui une figure tut&eacute;laire dans ce pays d'Afrique de l'Ouest, mais aussi un symbole du panafricanisme sur le continent.
A quelques jours de la c&eacute;r&eacute;monie fun&eacute;raire, qui se tiendra place de l'Ind&eacute;pendance, symbole de la victoire sur l'Angleterre coloniale, le site et l'avenue adjacente grouillaient d&eacute;j&agrave; de militaires.
"Ils ont peur qu'il y ait du grabuge.Tout le monde veut mettre la main sur notre ancien pr&eacute;sident", commente Esther Amoo, une commer&ccedil;ante voisine en regardant les soldats venus s'entra&icirc;ner pour la c&eacute;r&eacute;monie, fusil d'assaut &agrave; l'&eacute;paule."Depuis que JJ est mort, c'est le bazar partout!".
L'organisation des fun&eacute;railles est en effet devenu un troph&eacute;e politique tr&egrave;s convoit&eacute;, d'autant plus que Jerry Rawlings est mort en pleine campagne pr&eacute;sidentielle, &agrave; quelques semaines &agrave; peine du scrutin.
Son statut lui donne le droit &agrave; des fun&eacute;railles nationales, mais le Congr&egrave;s d&eacute;mocratique national (NDC), son parti, actuellement dans l'opposition, r&eacute;clamait d'&ecirc;tre associ&eacute; &agrave; leur organisation.
Un cadre du parti a m&ecirc;me menac&eacute; d'aller d&eacute;terrer son cadavre pour "le parti qu'il a fond&eacute;" puisse l'inhumer "une nouvelle fois".

- Ancrage d&eacute;mocratique -

Pourtant d&egrave;s 2009, la rupture &eacute;tait bel et bien consomm&eacute;e entre Jerry Rawlings et le NDC, dont il qualifiait les a&icirc;n&eacute;s de "vieux nains mal&eacute;fiques" et les cadets de "b&eacute;b&eacute;s aux dents ac&eacute;r&eacute;es".
Il avait m&ecirc;me aid&eacute; Nana Akufo-Addo, l'actuel pr&eacute;sident, &agrave; remporter sa premi&egrave;re &eacute;lection en 2016, face &agrave; John Mahama, le candidat du NDC.En 2020, les deux adversaires de toujours s'affrontaient une nouvelle fois, mais Jerry Rawlings n'&eacute;tait plus l&agrave; arbitrer le duel.
"Toute cette histoire d'affiliation politique est une vaste blague", tranche Emmanuel Gyimah-Boadi, politologue ghan&eacute;en et cofondateur du think tank Afrobarometer.
"Jerry Rawlings &eacute;tait profond&eacute;ment d&eacute;mocrato-sceptique et n'a jamais manqu&eacute; une opportunit&eacute; d'exprimer son d&eacute;go&ucirc;t pour le multipartisme.Pour lui, il s'agissait d'une invention de l'Occident qui ne convenait pas &agrave; l'Afrique.Il est donc absurde que nos partis actuels s'en r&eacute;clament aujourd'hui!".
Paradoxalement, c'est pourtant le solide ancrage du Ghana dans la d&eacute;mocratie qui constitue le principal legs de Jerry Rawlings.Un virage initi&eacute; de mauvaise gr&acirc;ce, apr&egrave;s 11 ans de dictature militaire.
"Les Ghan&eacute;ens ont toujours consid&eacute;r&eacute; le monopartisme comme une aberration", assure Emmanuel Gyimah-Boadi.
Sous la pression populaire et craignant d'&ecirc;tre d&eacute;log&eacute; par un coup d'Etat comme son pr&eacute;d&eacute;cesseur Kwame Nkrumah, Jerry Rawlings fait adopter en 1992 la Constitution de la IVe R&eacute;publique, destin&eacute;e &agrave; d&eacute;militariser la vie politique et &agrave; instaurer le multipartisme.
En 2000, au terme de ses deux mandats successifs autoris&eacute;s, Jerry Rawlings accepte &agrave; la surprise g&eacute;n&eacute;rale de c&eacute;der le pouvoir &agrave; l'opposant John Kufuor, vainqueur de l'&eacute;lection pr&eacute;sidentielle.
En respectant sa propre Constitution, il a permis au Ghana d'entrer dans l'alternance politique.
Proche de Sankara et Kadhafi, Jerry Rawlings avait entrepris, au moment de sa prise de pouvoir, de restructurer l'&eacute;conomie autour de principes socialistes et r&ecirc;vait une soci&eacute;t&eacute; &eacute;galitaire lib&eacute;r&eacute;e de "l'imp&eacute;rialisme".

- Pragmatisme &eacute;conomique -

Et pourtant, la famine d&eacute;vastatrice de 1983 caus&eacute;e par une terrible s&eacute;cheresse le forcera &agrave; accepter un accord avec le Fonds mon&eacute;taire international (FMI), et fait du Ghana l'un des premiers pays africains &agrave; s'engager dans le nouveau lib&eacute;ralisme &eacute;conomique.
Tout en appliquant la politique d'ajustement prescrite par le FMI, Rawlings parvient &agrave; maintenir son cap social: investissements publics, aides sociales, mesures compensatoires sur les salaires...
"Cette volte-face pragmatique de Rawlings a sauv&eacute; le pays de l'ab&icirc;me et a pos&eacute; les fondations de sa croissance", r&eacute;sume Emmanuel Gyimah-Boadi.
Reste n&eacute;anmoins une ombre au tableau: plus de 300 ex&eacute;cutions extra-judiciaires ont &eacute;t&eacute; recens&eacute;es sous son r&eacute;gime, et jusqu'&agrave; sa mort, Jerry Rawlings a toujours refus&eacute; d'offrir excuses ou r&eacute;parations aux familles des victimes.
"Sa ligne de d&eacute;fense &eacute;tait de dire que certains le m&eacute;ritaient, voire +qu'on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs+", soupire Emmanuel Gyimah-Boadi."Pour moi, c'est l'aspect le plus sombre de son h&eacute;ritage: il nous a aussi l&eacute;gu&eacute; cette impunit&eacute;".

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