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Sénégal : « le système doit être remis en cause parce qu’en 2022, il est inadmissible qu’une femme perde la vie en donnant la vie. » (Militante)

Astou Sokhna, une femme enceinte est décédée en début du mois après avoir demandé en vain une césarienne dans un hôpital public de la ville de Louga, dans le nord –ouest du Sénégal. Le drame a suscité l’émoi dans tout le pays. Le président Macky Sall  a promis "toute la lumière" sur ce drame et le directeur de l’hôpital a été suspendu. Mais la société civile dénonce un système de santé publique « malade» . C'est ce que souligne Ndèye Madjiguène Sarr, chargée de communication de l'Association des juristes sénégalaises (AJS) et coordonnatrice de la boutique de droit de Pikine (banlieue de Dakar). Elle est interrogée par Lilianne Nyatcha.

Ndèye Madjiguène Sarr, chargée de communication de l'Association des juristes sénégalaises (AJS)

19 avril 2022 à 14h11 par Lilianne Nyatcha / Africa Radio

Que sait-on des circonstances dans lesquelles cette dame a trouvé la mort ?

L’Association des juristes sénégalaises en tant qu’organisation qui milite pour la promotion et la protection des droits des femmes et des enfants, a été  mise au courant de cet évènement malheureux et s’est rapprochée de la famille via la coordonnatrice de la boutique de droit qui se trouve à Kébémer (Dans la région de Louga). Cette dernière a pris contact avec l’époux de la dame qui lui a fait savoir que sa femme en état de grossesse suivait normalement les visites jusqu’au jeudi 31 mars où elle a eu des douleurs.

Elle s’est rendue à l’hôpital avant de perdre la vie le lendemain matin à 5 heures. Et cela, après de multiples demandes de césarienne d’urgence. Les sage-femmes qui se trouvaient sur place lui ont fait savoir qu’elle n’était pas programmée pour ce jour même si elle a pu bénéficier de perfusion et autres pour atténuer les douleurs. Mais sa demande qui était d’être opérée d’urgence n’a pas été prise en compte.

C’est pour cette raison que la famille de la défunte accuse le personnel médical de négligence ?

Oui, c’est cela. Le mari nous a fait savoir qu’il a formellement porté plainte pour négligence auprès du procureur de Louga.

Et votre association apportera une assistance juridique à la famille de la défunte ?

Oui c’est ce que nous faisons. Nous avons mis en place une prise en charge holistique des victimes, des femmes avec le référencement et la commission gratuite d’un avocat. On le fait avec tous les cas, et ce cas-ci ne fait pas exception. Nous pouvons lui commettre un avocat d’office parce que nous sommes une association de juristes.

 

 

Ce drame survenu à l’hôpital Ahmadou Sakhir Mbaye de Louga est-il un incident isolé ?

Depuis plusieurs années, on reçoit ce genre de situation ou de plaintes ou bien même souvent à travers les réseaux sociaux. Ces derniers jours il y a eu tellement de récits  de la part des internautes, des journalistes ou des personnalités sur leurs expériences avec les structures de santé ! En tant que boutique de droits, on reçoit aussi des personnes qui viennent se plaindre de maltraitance ou de négligence dans tel ou tel hôpital. Ils demandent des conseils et des orientations par rapport à la procédure à suivre, et on les conseille et on leur propose selon le cas, notre assistance.

On espère que ce cas spécifique ne sera pas comme les autres. Car souvent, la personne ne va pas au bout de la procédure à cause d’arrangement ou bien même c’est  la  ‘’volonté divine’’ pour certains. C’est une situation qui n’est pas isolée au Sénégal. Le présent cas nous montre qu’il y a beaucoup de choses et qu’il faut remettre en cause tout le système, autant la prise en charge que le personnel sanitaire. Ils ont des obligations et doivent avoir le sens même du service public.

Quel est justement l’état de santé de l’hôpital public au Sénégal aujourd’hui ?

Le service public est malade, c’est le constat amer qui est fait. Pour le cas dont nous parlons, il faut par exemple savoir que Astou Sokhna avait perdu son enfant en 2019 dans la même structure hospitalière. Elle était sujette à une tension et avait subi une césarienne d’urgence pour sauver l’enfant qu’elle portait, ce qui n’a pu être fait. On ne peut pas mettre cela sur le compte de l’hôpital. Mais le cas présent a amené la famille à se poser des questions si tout ce qui devait être fait l’a été.

Cela nous montre que le système doit être remis en cause parce qu’en 2022, il est inadmissible qu’une femme perde la vie en donnant la vie. D’autant plus que depuis des années, il y a des rapports d’audits qui sont faits à chaque fois qu’il y a mortalité maternelle et infantile. On continue  toujours à assister à ces cas regrettables.

Le directeur de l’hôpital et le personnel présents le jour du drame ont été suspendus. Est-ce que cela est suffisant ?

Le mal est profond. Il faut aller plus loin. Il faut aller au-delà. Aujourd’hui, la famille de la victime a porté plainte. Donc qu’ils aillent au bout de leur procédure.

Le collectif dénommé « Justice pour Astou Sokhna », du nom  de la dame décédée, envisage une manifestation ce vendredi (15 Avril) . Comment éviter l’escalade ?

Il faut savoir que l’objectif de ce collectif n’est pas d’aller vers l’escalade ou d’amener la violence. L’objectif de la marche et des actions qui sont menées, je pense, c’est que pareil cas ne se reproduise plus. Ils ont choisi de manifester, de faire un sit-in, c’est leur droit, qu’on respecte cela. Et aux autorités de faire ce qu’il faut.

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