Nouvelle application Africa Radio

Mali/France: "il faut aussi situer les événements dans un contexte de la montée du panafricanisme"

Le gouvernement malien a annoncé en milieu du mois le retrait du pays du G5 Sahel pour dénoncer le refus qui lui a été opposé d'assurer la présidence de cette coalition de lutte contre le terrorisme. Il compte cinq pays membres : Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad. Cette décision intervient après une série d'autres prises par le pouvoir militaire. Selon Bassirou Ben Doumbia, auditeur en politiques publiques et juriste, le gouvernement tente de faire face à ces différents fronts malgré l'isolement. Il est interrogé par Lilianne Nyatcha.

Retrait Mali - G5 Sahel

30 mai 2022 à 10h48 par Lilianne Nyatcha / Africa Radio

Rupture des accords de défense avec la France, retrait du G5 Sahel, convocation par la justice du chef de la diplomatie française Le Drian, annonce du putsch manqué, comment analysez-vous ces derniers événements ? Le gouvernement malien est sur plusieurs fronts… 

Ce sont des conséquences de tout ce dont nous savons aujourd’hui, en ce qui concerne les tensions  des relations Franco-maliennes depuis un certain moment, concernant la gestion de la crise sécuritaire, le contexte de la transition.   

Avant tout cela, il faut aussi situer les événements dans un contexte de la montée du panafricanisme, qui aujourd'hui fait que ce soit au niveau de l’élite politique africaine, que ce soit du côté de la jeunesse, presque tout le monde dénonce cette omniprésence de l’ex puissance coloniale, la France, sur le destin des anciennes colonies.  Avec l’émergence de nouvelles consciences politiques, avec l’émergence de cette nouvelle jeunesse qui est en rupture avec les anciennes croyances fondées sur le colonialisme, aujourd’hui, il est évident que les discours soient tendus. 

Mais ces décisions, ces mesures ne traduisent-elles pas un manque de sérénité, une certaine fébrilité de la part du pouvoir malien ?  

Je ne parlerai pas de fébrilité, ce sont des acteurs politiques assez  mâtures et responsables. Ces autorités savent ce qu’elles font, simplement elles se sont inscrites désormais dans une nouvelle dynamique de sécurité. 

Elles veulent affirmer l’indépendance entière du pays, que ce soit sur le plan politique, militaire ou diplomatique. Et c'est dans cette ordre d’idée là, qu’aujourd’hui, on voit dans leurs agissements, dans leur approche, cette tendance à jouer cartes sur table avec la France, qui pendant plusieurs décennies, avait été vue comme le parrain des États africains, comme celle qui pouvait faire et défaire quand elle voulait.  Et c'est ce que je vous ai dit lors de l'introduction, aujourd'hui vous avez cette jeunesse. Aujourd'hui, quand vous regardez le profil de chacun des membres de ce gouvernement, ils sont tous de la nouvelle génération d'après les années 80 pour  la plupart. Sept des premiers ministres font partie des anciens, mais les autres ne sont pas parrainés par Paris ou par Washington. Quand vous regardez leur profil, c’est un pur produit de  l'école malienne, et également des écoles russes.  Il est évident politiquement de comprendre que ce gouvernement-là, n'a aucun complexe  vis-à-vis de la France, ce gouvernement n'a aucun complexe vis-à-vis des autres puissances militaires, donc elle entend assumer pleinement le rôle qu'il se confie ou que le peuple entier dans la conduite de la transition lui confie. 

Jusqu’à quand le gouvernement de transition pourrait-il faire face au choc dont vous parliez, né de son envie d'indépendance, on voit que les difficultés s'accumulent. 

Jusqu'à quand pourra-t-il tenir ? 

 

Je comprends que vous êtes du dehors, vous avez une autre lecture de la chose, mais lorsque l’on regarde en interne, on constate effectivement que le gouvernement n'est pas  

nécessairement sur plusieurs fronts . Le gouvernement a été contraint d'aller sur plusieurs fronts . C’est ça l’autre angle de lecture.  Donc jusqu’à quand le gouvernement pourra résister, on ne peut le dire,  mais il faut juste comprendre un peuple aussi meurtri  comme le Mali, qui pendant dix ans n’a pas connu ce qu’on appelle l’élément de stabilité, que ce soit au niveau de la sécurité ou au niveau des institutions politiques, le pays devrait bénéficier aujourd’hui du soutien de l'ensemble des peuples africains, de l'ensemble de la communauté internationale, pour l’aider à se relever.  

C’est ça aussi l'élément de solidarité de la diplomatie, malheureusement, ce n’est pas ce qu’il se passe. On a l’impression qu’il y a qu’un seul ordre auquel il faut se soumettre et que tout Etat ou toute personne qui n'est pas soumis à cette ordre-là, est vu comme un belliqueux, est vu comme un négationniste et du coup ne peut pas bénéficier du soutien des autres. 

 

Le Mali n’a pas réussi à prendre la présidence tournante du G5 Sahel. Comment expliquez-vous ce blocage alors que la Mauritanie et le Burkina Faso, deux pays membres du G5 Sahel sont considérés comme soutiens de Bamako ? 

Justement c'est regrettable ce qui s'est passé et je pense que cela corrobore tout ce que je viens de vous dire, dès lors que par évidence la présidence devait revenir au Mali, selon ce que le porte-parole du gouvernement nous a expliqué à la télévision. Il se trouve que le Tchad refuse de léguer la présidence au Mali. Alors pourquoi ? La manière par laquelle le fils d'Idriss Déby est arrivé au pouvoir n’est qu’un coup d'état, parce que constitutionnellement il n’était pas celui qui devait légitimement occuper la transition du Tchad. Mais si la France admet cela, et qu'elle se présente à la cérémonie d'investiture du président, tandis que de l’autre côté, on traite les maliens d’être des putschistes, cela n'est pas cohérent pour la politique internationale française vis-à-vis de sa politique en Afrique.  Ce discours contradictoire de la France entre deux Etats africains est perçu autrement par les maliens . Et sachant très bien qu’au sein du G5 Sahel, quand bien même il s'agit d'une organisation régionale, la présence de la France et son influence est importante. Donc il n’est pas évident et c'est ce que l'opinion publique croit ici au Mali aujourd’hui, que la France soit derrière ce refus de léguer la présidence au Mali. 

 

 Le pouvoir malien est-il aujourd'hui isolé ? 

 On est dans l'isolement depuis très longtemps. Ne serait-ce qu’avec les sanctions économiques de la CEDEAO, de l’UEMOA, c’est un isolement. Avec le recul des relations diplomatiques avec la France, et l’isolement du pays,  le Mali et la France, c’est une histoire multi -séculaire. 

" Il faut aussi situer les événements dans un contexte de la montée du panafricanisme"