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Soudan: les militaires aux abois refusent un pouvoir civil quasi-inédit

En écartant les civils par la force, estiment des experts, les militaires cherchent à garder la mainmise au Soudan, où des manifestations massives rappellent pourtant que la rue veut en finir avec la férule de l'armée, au pouvoir quasiment sans discontinuer depuis l'indépendance.

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26 octobre 2021 à 14h21 par AFP

Khartoum (AFP)

"C'est une tentative des forces de sécurité de garder le contrôle de leurs intérêts économiques et politiques", affirme le chercheur Jonas Horner, d'International Crisis Group.

L'arrestation de la quasi-totalité des dirigeants civils de la transition par l'armée lundi "n'est pas une surprise", renchérit Magdi al-Gizouli, chercheur au Rift Valley Institute.

Car si en 2019, l'armée faisait tomber Omar el-Béchir conformément au souhait de centaines de milliers de manifestants pro-démocratie, aujourd'hui, la lune de miel entre militaires et civils est terminée.

Et la fracture est même désormais actée au sein du camp civil.De quoi offrir une brèche à l'armée et au général Abdel Fattah al-Burhane, qui a dissous lundi les autorités de transition qu'il dirigeait.

- Blocs remaniés -

"Avant, il y avait d'un côté l'armée et les paramilitaires, de l'autre les Forces de la liberté et du changement (FLC)", bloc né de la révolte anti-Béchir, et enfin des "groupes rebelles", rappelle M. Gizouli.

Mais ces rebelles ont finalement signé la paix avec Khartoum fin 2020 et les FLC se sont divisées.Aujourd'hui, les militaires, les rebelles et une faction séditieuse des FLC sont alignés.

C'est d'ailleurs un ministre, Jibril Ibrahim, en charge des Finances, qui a lancé les hostilités avec un sit-in entamé le 16 octobre pour réclamer un "gouvernement militaire".

Aujourd'hui, la plupart de ses collègues sont détenus.

"Ce coup d'Etat vient du coeur même du gouvernement", affirme M. Gizouli.

Après avoir laissé filer une période de transition déjà allongée depuis l'accord de paix avec les rebelles, les militaires ont décidé de mettre tout leur poids dans la balance pour "refuser de passer à un pouvoir civil", comme ils s'y étaient engagés en 2019, assure M. Horner. 

Une transition qui était pourtant "le noyau essentiel de la transition prévue vers une démocratie multipartite", rappelle-t-il.

Lundi encore, des milliers de Soudanais ont réaffirmé leur souhait d'un gouvernement démocratique en défilant dans la rue pour conspuer l'armée.Trois manifestants ont été tués et plus de 80 ont été blessés à Khartoum, selon des médecins. 

C'est en leur nom que des émissaires britannique, américain et onusien se sont pressés auprès des civils et des militaires --qui tous ont donné des gages aujourd'hui caducs-- ces derniers jours à Khartoum.

- Pressions internationales -

Il faut absolument que la communauté internationale "fasse pression pour un retour à la transition vers un pouvoir civil", estime Mohamed Osman, en charge du Soudan au sein de l'ONG Human Rights Watch (HRW).

Mais les militaires semblent avoir décidé de faire fi de ces nombreux appels du pied --alors même que le nombre de leurs opposants était sans commune mesure avec celui des pro-armée en sit-in.

Le coup d'Etat de lundi "montre avec clarté la peur des militaires d'un pouvoir civil dans un pays ayant passé 52 de ses 65 années d'indépendance sous le contrôle de l'armée", martèle M. Horner.

Prêts à tout et faisant face à "une résistance civile surtout dans les zones urbaines", leur seul moyen d'en venir à bout est une répression par la force", renchérit M. Gizouli.

Mais alors que les condamnations se multiplient à l'international, une autre option se profile: un partage du pouvoir en trompe-l'oeil.

"Il pourrait y avoir la formation d'un nouveau gouvernement qui déclarerait que le général Burhane reste au pouvoir le temps de la transition", affirme le chercheur, alors que le haut-gradé a déjà promis un nouveau cabinet de "personnes compétentes". 

Ce cabinet pourrait rassembler d'ex-rebelles ayant signé la paix et des leaders civils ayant échappé au coup de filet de lundi, prédit-il.

"Par exemple, il semblerait que la ministre des Affaires étrangères Mariam al-Sadeq al-Mahdi n'ait pas été arrêtée", souligne M. Gizouli.Elle et d'autres "pourraient faire partie de ce plan", suggère-t-il.