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Crise post-électorale en Tanzanie : "Il n’y a jamais eu en Tanzanie de protestations de cette ampleur" , souligne le chercheur Dan Paget

Actus. Samia Suluhu Hassan, 65 ans, a été investie, lundi 3 novembre, présidente de la Tanzanie, trois jours après des manifestations sévèrement réprimées qui auraient fait plus d'une centaine de morts, selon le principal parti d'opposition, le Chadema. Des manifestations d'une ampleur inédite, explique Dan Paget, professeur de sciences politiques à l’université du Sussex, au Royaume-Uni.

Crise post-électorale en Tanzanie : "Il n’y a jamais eu en Tanzanie de protestations de cette ampleur" , souligne le chercheur Dan Paget
Samia Suluhu Hassan lors de son investiture, lundi 3 novembre - Facebook / Samia Suluhu Hassan

Samia Suhulu Hassan a été investie lundi comme présidente après une élection contestée…Lors de son discours de victoire, elle a qualifié les diverses manifestations qui ont été pour certaines meurtrières, de grossière et non patriotiques…Est-ce qu’on pouvait s’attendre à de telles déclarations de sa part ? 

Elle a officiellement obtenu 98 % des voix, après avoir écarté ses deux principaux adversaires de la course...À ce stade, on peut dire qu’il existe des preuves crédibles de manipulation massive de l’élection.
Concernant les manifestations, j’ai donné une interview il y a seulement une semaine dans laquelle je minimisais la possibilité de voir des mouvements de masse en Tanzanie. Avant l’élection, j’avais également consulté des notes politiques qui concluaient à une faible probabilité de manifestations de grande ampleur. Tout cela a été inattendu. Je pense que ça a surpris presque tout le monde, et même le régime lui-même a probablement sous-estimé la situation.

Surnommée Maman Hassan par ses partisans, elle a d’ailleurs elle-même joué de cela, elle a d’abord été saluée pour avoir assoupli les règles envers les opposants politiques, elle avait même rencontré un des leaders de Chadema, Tundu Lissu qui était alors en exil puis tout change en 2021, avec l’arrestation d’opposants ? Qu’est-ce qui explique ce changement ? 

Je pense qu’il y a deux façons de voir le parcours de Hassan et sa transition, comme vous l’avez dit, d’une apparente réformatrice démocratique à, de toute évidence, une autocrate.
La première explication serait qu’elle a réellement été une réformatrice, mais que quelque chose s’est produit au sein du régime en cours de route. Peut-être que certains membres du pouvoir n’étaient pas satisfaits qu’elle suive cette voie réformatrice, ou quelque chose de ce genre.
La deuxième explication, que je trouve plus crédible, est que sa prétention à être une réformatrice n’était qu’une façade. C’était une image, un rôle de réformatrice. Cela n’a jamais été destiné à devenir un véritable programme de réforme.
Ce que cela visait réellement, c’était à lui donner l’apparence d’une réformatrice, afin qu’elle puisse en tirer tout le crédit et toute la légitimité, en Tanzanie comme à l’étranger, tout en demeurant fermement aux commandes du pouvoir.

Certains disent qu’elle a fait pire que son prédécesseur John Magufuli  concernant la censure des opposants avec les enlèvements, les arrestations, les interdictions de manifester? Mais est-ce le cas ? 

Oui, je pense qu’il est vrai qu’elle est allée plus loin. Et je le dis même s’il faut rappeler que la Tanzanie est depuis longtemps un État autocratique. Le même régime est au pouvoir sur le continent depuis l’indépendance en 1961. Il a une longue histoire d’autocratie et a souvent pratiqué des méthodes telles que l’emprisonnement des opposants, les enlèvements, la censure des médias, et tout cela.

Selon moi, Hassan a franchi un cap supplémentaire de trois manières. Premièrement, elle a empêché son plus grand rival de se présenter aux élections présidentielles. Cela ne s’était jamais produit auparavant en Tanzanie. Depuis le retour aux élections multipartites en 1992, aucun des principaux candidats n’avait jamais été interdit de participer à la présidentielle.

Deuxièmement, le rythme auquel les activistes, les membres de l’opposition et les critiques sont enlevés ou tués, par des méthodes secrètes et violentes, n’avait jamais été observé à une telle échelle.

Et troisièmement, cela est devenu évident ces derniers jours. Il devient de plus en plus clair que les manifestations qui ont eu lieu depuis la semaine dernière sont réprimées avec force et violence. Des gens sont tués, et il semble maintenant que cela se fasse en nombre important. Aujourd’hui, un journal kényan titrait : « Massacre en Tanzanie ». Il semble de plus en plus qu’il s’agisse bien d’un massacre. Cela n’était jamais arrivé auparavant en Tanzanie.

Samia Suluhu Hassan est membre du CCM Chama Cha Mapidunzi, le parti au pouvoir depuis l’indépendance, un schéma que l’on retrouve également au Mozambique, en Namibie…Et les principaux partis d’opposition peinent à s’imposer, malgré le multipartisme….L’opposition est-elle condamné à avoir un rôle secondaire ? 

en a tout l’air, parce que l’opposition a essayé de faire tout ce qu’elle pouvait, et pourtant le régime a eu recours à ces méthodes extraordinaires pour la réprimer, y compris en empêchant ses candidats à la présidentielle de se présenter et en utilisant toutes ces autres méthodes.

Mais depuis l’ampleur des manifestations qui ont éclaté la semaine dernière, tout cela est maintenant remis en question. Nous ne savons pas où ces manifestations vont mener au moment de cet enregistrement. Il semble qu’elles soient en train de s’essouffler.


Mais même si les manifestations s’arrêtent pour l’instant, quelque chose de vraiment important s’est produit. Il n’y a jamais eu en Tanzanie de protestations à cette échelle et avec un contenu politique similaire. Leur intensité et leur ampleur montrent clairement que Hassan ne bénéficie pas des 98 % de popularité qu’elle prétend avoir.

C’est un moment qui marque la naissance d’un mouvement. Tout le monde en Tanzanie saura désormais que beaucoup de gens ne soutiennent pas le régime et que, dès qu’ils en auront l’occasion, ils sont prêts à descendre dans la rue pour défendre le changement qu’ils veulent.

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