Écoutez l'histoirienne Françoise Blum
À partir des années 1920, une poignée d’étudiants africains, souvent issus des élites coloniales et bénéficiant de bourses d’État ou missionnaires, commencent à venir en France, principalement à Paris. Leur nombre reste très faible jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, en raison du retard de l’enseignement dans les colonies françaises. Après 1945, les effectifs augmentent grâce à une politique coloniale de promotion de l’éducation et à la création d’un Office des Étudiants d’Outre-Mer. Le mouvement s’intensifie après les indépendances de 1960, atteignant 10 000 étudiants.
Il y a près de 100 ans, les premiers étudiants africains étaient accueillis dans les universités françaises. Leur présence augmente entre les années 45 et les années 60. Qui étaient ces étudiants et de quel pays venaient-ils exactement ?
Les premiers étudiants sont venus dans l’entre-deux-guerres, mais ils étaient très peu nombreux à ce moment-là. On peut citer le plus célèbre d'entre eux, bien sûr, qui était Léopold Sédar Senghor, que tout le monde connaît. Il y a eu aussi le prince Tovalou Houénou Quénum, mais ils étaient extrêmement minoritaires parce qu'il n'y avait pas une politique générale de délivrance de bourses pour ces étudiants.
Par contre, après la Deuxième Guerre mondiale, il se passe beaucoup de choses et l’empire se transforme en Union française par la Constitution de 1946. En même temps, il y a une volonté plus affirmée de former des cadres de ce qui devrait être la grandeur de la France, et en fait, ils vont devenir les cadres de l'Afrique indépendante.
Et à ce moment-là, il y aura une politique de bourses beaucoup plus importantes, des bourses qui sont délivrées soit minoritairement par les municipalités en Afrique, soit par les territoires eux-mêmes. Donc, on va avoir de plus en plus d'étudiants africains qui vont venir de toute l'Afrique française, et très, très minoritairement de l'Afrique anglophone ou même de l'Afrique portugaise, mais ça restera une minorité.
La plupart viennent de l'Afrique française, de cette Afrique qui est désormais l’Union française. Et je précise d'ailleurs : ça signifie aussi que tous les anciens sujets de l'Empire sont devenus citoyens de cette Union française.
Et quelles formations suivaient-ils ?
Au début, à la fin des années 40, c’est surtout la médecine et le droit. Ensuite, ça se diversifie. Et il y a aussi de plus en plus d’étudiants qui suivent des cours dans des classes préparatoires aux grandes écoles. Mais au début, c’est très net : c’est médecine et droit.
Ce qui s’explique peut-être par le fait que le droit, c’est quelque chose qui peut aider quand on est anticolonial et qu’on a besoin d’arguments juridiques.
La médecine, évidemment, c’est toujours très utile. Il y a une école de médecine à Dakar, mais pour continuer, il faut aussi venir en France. Ensuite, ce seront les Lettres qui seront prisées.
En 1950, la Fédération des étudiants d’Afrique noire est créée. C’est un exemple unique, puisque aujourd'hui, il y a des associations d’étudiants africains et africaines, mais il n’y a pas de fédération. Qu’est-ce qui a été le déclic pour créer cette dernière en 1950 ?
Il y a eu deux colloques en 1950 et 1951 qui ont permis la création de la fédération. La fédération elle-même est déclarée comme association d'utilité publique en 1951. En fait, je pense que c'est une fédération parce que ces étudiants sont panafricains. C’est-à-dire que, pour eux, il y a une seule Afrique, et la fédération symbolise cette Afrique unique parce que la fédération regroupe, d'une part, les sections académiques, c’est-à-dire les étudiants de Paris, de Grenoble, de Toulouse, etc., mais aussi les associations territoriales, qui deviennent évidemment nationales après les indépendances de 1960. Par exemple, l’Association des étudiants de Côte d’Ivoire, l’Association des étudiants du Sénégal, etc.
Et je pense que c’est vraiment ce côté panafricain qui fait que les étudiants souhaitaient une structure qui les rassemble tous, d’où qu’ils viennent. Et cette fédération, au début, est assez corporatiste : il s’agit surtout d’aider les étudiants, justement pour trouver des logements, des choses comme ça. Mais très vite, elle va se radicaliser et elle devient très énergiquement — j’allais dire — anticoloniale et hostile aux réformes qui sont promues pendant ces années 1950. par exemple en 1956, avec la loi-cadre Defferre.
La fédération est radicale et révolutionnaire, et son comité exécutif devient très vite, assez largement, marxiste.
La fédération a été très impliquée dans la lutte pour les indépendances et contre l’impérialisme. Elle a même créé son journal, L’Étudiant d’Afrique noire. Mais comment a-t-elle réussi à s’imposer comme une association qui compte notamment sur le plan politique ?
Elle a réussi à s’imposer parce que les étudiants avaient aussi des relais en Afrique. Et parce qu’elle a organisé un certain nombre de manifestations, et qu’il y avait justement ce journal, L’Étudiant d’Afrique noire, qui était très largement diffusé en France et en Afrique.
Elle réussit donc à s’imposer, mais en fait, l’indépendance qu’elle voulait révolutionnaire ne le sera pas. Donc, après ces indépendances, la fédération va poursuivre son combat, cette fois contre ce qu’elle considère comme étant le néocolonialisme des États africains.
Avant 1960, elle militait pour l’indépendance, une indépendance qu’elle souhaitait révolutionnaire. Après 1960, elle lutte contre les États néocoloniaux. La différence, c’est qu’avant 1960, la Fédération lutte contre l’État colonial français, tandis qu’après 1960, ses oppositions se tournent surtout vers les nouveaux États africains.
Il va y avoir des répressions, évidemment, et ces répressions touchent pas mal d’étudiants. En 1961, par exemple, il y a de très nombreuses expulsions d’étudiants, qui ne sont pas rapatriés dans leur pays d’origine, mais qui vont parfois au Ghana ou au Mali, qui sont alors des États révolutionnaires.
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