Dans une tente de fortune, lunettes sur le nez et les pieds dans la poussière, Mamie Nouria Meniko, psychologue congolaise de 43 ans, analyse les dessins des enfants du camp de déplacés de Lazaré, où s'entassent des familles de la région qui ont fui les exactions de groupes armés.
"Le problème, c'est l'exposition quotidienne à la violence", explique cette femme, responsable du programme du Comité International de la Croix-Rouge (CICR) mis en place pour identifier et traiter des enfants atteints de troubles du stress post-traumatique.
"Le dessin, dit-elle, aide à exprimer ce que l'enfant a dans sa tête.Il raconte ce qu'il ne peut pas dire de vive voix.Parfois, certains commencent à peine à dessiner qu'ils se mettent à pleurer".
Les ateliers de dessin représentent un travail d'ampleur à Kaga Bandoro - localité à 330 km au nord de Bangui - qui a connu cinq années de conflit sans véritable répit.
Située dans une zone stratégique, carrefour de transhumance, la ville était depuis 2014 contrôlée uniquement par des groupes armés.
Après cinq ans d'absence, les Forces armées centrafricaines sont revenues dans cette zone à la mi-mai, après la signature d'un accord de paix entre le gouvernement et quatorze groupes armés en février.En restant pour le moment confinées dans leur base.
A Kaga Bandoro, les ateliers de dessin ont permis d'identifier 233 enfants, âgés entre 5 et 15 ans, souffrant de troubles de stress post-traumatique.
- "Enlever les images de ma tête" -
Assise sur une natte, la psychologue congolaise s'adresse à un groupe de 6 enfants : "La nuit dernière, qui a fait un cauchemar"?Trois mains se lèvent.
Sa petite s-ur sur les genoux, Florine (prénom modifié), 10 ans, confie son mauvais rêve.
"Ma mère et mon père sont venus me chercher pour m'emmener avec eux mais je leur ai dit que je ne voulais pas venir", dit-elle.Ses deux parents ont été tués par la rébellion de la Seleka en 2013.
Pour tenter d'aider ces enfants traumatisés à vaincre leurs angoisses, la psychologue enseigne des techniques de respiration et de relaxation.
"Quand ça ne va pas, je fais ces exercices et je pense à un bon plat que je pourrais manger", explique Florine.
A sa droite, Hervé (prénom également modifié), 12 ans, fait lui aussi partie de ces enfants identifiés comme étant traumatisés.
Il en est à sa troisième séance.Sur ses dessins, toujours la même chose : des pick-up montés de mitrailleuses 12,7, un cadavre dans une rivière.Une main dans un puits.Une maison en feu avec son père à l'intérieur.
"Je dois dessiner à chaque fois pour enlever les images de ma tête et pouvoir dormir", dit-il.
- "Je ne comprenais pas" -
Pour la mère d'Hervé, ces ateliers sont bénéfiques: "Avant il criait chaque nuit, cette semaine il ne s'est réveillé que 5 fois".Veuve depuis les attaques de la Seleka de 2013, elle explique que les ateliers ont resserré les liens familiaux.
"Quand il n'écoutait pas et qu'il faisait des bêtises, je le frappais.Je ne comprenais pas.Maintenant je sais pourquoi il faisait ça, alors on s'écoute", confie cette maman.
Problèmes d'attention, comportements agressifs, les symptômes du traumatisme sont difficiles à comprendre pour l'entourage des enfants.La psychologue tente de sensibiliser les parents pour permettre de renouer les liens.
Selon le professeur centrafricain, Jean-Chrysostome Gody, médecin chef de l'hôpital pédiatrique de Bangui, les troubles mentaux liés au stress post-traumatique, pourtant tabous, sont fréquents dans un pays en conflit depuis 2003.
"C'est un vrai problème de santé publique", selon le professeur Gody."Les traumas non soignés peuvent apporter des dépressions, voire de la violence.Cela alimente le cercle vicieux".
Le chemin est encore long pour que les cauchemars d'Hervé disparaissent totalement.
A la fin d'une séance éprouvante, la psychologue congolaise soupire."On ne peut rien effacer.Le but est de leur apprendre à vivre avec le trauma".
Hervé joue avec ses amis, profitant de l'accalmie qui règne à Kaga Bandoro, même si la périphérie de la ville est toujours la cible de violences quotidiennes.
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