Écoutez Mai Lan Chapiron
Avec son association Mille Miettes, la chanteuse et autrice Mai Lan Chapiron intervient dans les établissements scolaires pour sensibiliser les jeunes aux différentes formes de violence, dont elle a elle-même été victime. À l’âge de sept ans, elle a subi un inceste, une épreuve qu’elle révélera publiquement en 2021. Cette prise de parole la conduira à créer son premier outil de prévention, Le Loup (2021), un projet mêlant chanson, conte et vidéo pédagogique. Depuis, trois autres albums ont vu le jour : C’est mon corps !, Interdit de me faire mal, et Tes droits et tes besoins comptent, ce dernier coécrit avec l’avocat Édouard Durand.
Selon l’UNICEF, environ 650 millions de femmes et de filles, ainsi que jusqu’à 530 millions d’hommes, ont subi des violences sexuelles durant leur enfance — soit environ un enfant sur six dans le monde. Qu’évoquent pour vous ces chiffres ?
Ils sont vertigineux. On se rend compte que c’est un véritable fléau. Si je peux rajouter des chiffres à ce qui se passe ici, en France, par exemple : chaque année, 160 000 enfants sont victimes de violences sexuelles. C’est deux à trois enfants par classe, un enfant toutes les trois minutes. Donc voilà, moi, ce que ça me fait, c’est que je me dis : « Ouh là là, on est face à un fléau, et il faut absolument faire quelque chose, et vite. »
Vous allez parler aux enfants de ces sujets difficiles pour mieux les sensibiliser. Est-ce que vous vous rappelez comment vous avez préparé votre première intervention ? Les questions que vous vous êtes posées, les limites que vous vous êtes fixées, justement, pour pouvoir faire passer votre message ?
Je n’avais pas du tout prévu de faire des interventions au début. Je suis une artiste, je suis chanteuse, donc j’étais vraiment dans ma carrière, tranquille, en train de tourner et de faire des chansons.
Finalement, un jour, j’ai eu besoin de créer un outil de prévention des violences sexuelles à destination des enfants, parce que j’ai été victime moi-même quand j’étais enfant.
En grandissant, je me suis rendu compte que je n’avais eu aucune information sur ce sujet et que ça m’avait pris beaucoup de temps et d’énergie d’essayer de comprendre ça pendant plusieurs années. Et puis, que ça avait creusé les dommages sur ma perception du monde, sur ma confiance en l’autre, etc.
 Donc, je me suis dit : « OK, je vais créer l’outil dont j’aurais eu bien besoin quand j’étais enfant », en me rendant compte que les enfants n’avaient aucune information sur ce sujet, et qu’en leur donnant ces informations, on pouvait littéralement changer le cours des choses. Un enfant agressé, s’il comprend ce qui lui arrive, peut commencer beaucoup plus tôt un chemin de réparation, savoir comment réagir, comment demander de l’aide, etc.
Donc, j’ai créé en 2020-2021 un outil qui s’appelle Le Loup. C’est un outil complet, un outil clé en main, avec une chanson, un livre, une histoire et une petite vidéo de prévention animée. Je me suis rapprochée de Rada Atem, de la Maison des Femmes, et d’une psychologue, Coralie Diere, pour créer cet outil. Et on s’est dit : « Bon, ben voilà, on envoie l’outil, tout le monde va s’en saisir, etc. »
 Je me rends compte que les gens étaient encore frileux pour se lancer. Je me suis rendu compte que ce n’était pas juste l’outil qui manquait, c’était aussi que tout le monde était complètement paralysé par ce sujet, que parler aux enfants représentait une montagne, etc.
Quelles sont les questions que les enfants posent le plus fréquemment ?
Les enfants posent des questions extrêmement pertinentes. Ils comprennent tout, ils ne sont pas du tout stressés. C’est hyper important, je le répète tout le temps, parce qu’on a peur de leur faire peur. Mais sachez qu’on ne leur fait pas peur du tout. Les enfants ne sont pas chargés de tout ce que cela représente pour nous, une violence sexuelle, de terrible.
Eux, on leur donne juste des règles simples de sécurité. Comme je disais tout à l’heure : « Si ça t’arrive, tu fais ça, point. » C’est comme quand tu traverses la rue : il faut traverser au feu vert, sinon tu risques de te faire écraser. Donc la règle, c’est de traverser au feu vert, point. Ce sont des règles, en fait. Et donc, les enfants ont plein de questions, ils sont dans l’empathie.
Avez-vous reçu des témoignages ou des retours qui vous ont particulièrement touchée après ces interventions ?
Bien sûr, bien sûr. Et il y a des enfants qui, tout d’un coup, pendant l’intervention, se disent : « Ah, mais en fait, attends… c’est ça que moi, j’ai vécu ! »
 Donc, évidemment, il peut y avoir des révélations à l’issue des séances.
 Ce n’est pas du tout un dommage collatéral qu’il y ait des révélations — c’est au contraire vraiment ce qu’on cherche. Ces interventions permettent donc à la fois de faire de la prévention auprès des enfants, mais aussi du dépistage, de repérer les enfants victimes. 
Les enfants qui ont subi des violences sexuelles, certains enfouissent cela jusqu’à l’âge adulte, car aborder ce sujet dans le cercle familial peut demeurer tabou, notamment pour des raisons culturelles ou religieuses. Alors, comment aborde-t-on ce sujet-là dans le cercle familial ?
De la même façon, il faut vraiment se détendre et se dire : « Je ne viens pas lui mettre des idées tordues dans la tête. » Absolument pas. Je viens juste lui donner des règles de sécurité. Donc, encore une fois, comme tout à l’heure, on disait : « Voici tes parties intimes. » Les parties intimes : la bouche, la poitrine, le sexe, les fesses.
 Les vrais noms du sexe, ce sont la vulve et le pénis. Apprendre les vrais noms du sexe à un enfant, c’est lui donner une arme, en fait.
C’est dissuasif pour un agresseur. Si l’enfant connaît ces termes-là, l’agresseur se dit : « Attends, cet enfant-là va savoir expliquer ce qui lui arrive. Je ne vais peut-être pas y aller. » Les agresseurs profitent de l’insouciance, de l’ignorance des enfants. Bien sûr, on le sait, ils profitent du silence. Donc, donner des mots, c’est donner une arme.
Ensuite, on leur dit : à partir du moment où tu es autonome, à partir du moment où tu sais te laver tout seul, à partir du moment où tu sais te gérer tout seul aux toilettes, si tu n’as pas mal, si tu n’as pas de problème au corps, si tu n’as pas besoin d’être soigné, alors personne n’a le droit de toucher tes parties intimes. C’est tout, en fait. C’est ça la règle, c’est très, très simple.
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