Au Soudan, grenades lacrymogènes et manifestants dans un pays coupé du monde

Des milliers de Soudanais convergent dimanche vers le palais présidentiel à Khartoum, bravant grenades lacrymogènes, coupure des télécommunications et déploiement massif de soldats en armes.

AFRICA RADIO

2 janvier 2022 à 13h36 par AFP

Khartoum (AFP)

Comme à chaque manifestation, devenues régulières depuis le coup d'Etat du général Abdel Fattah al-Burhane le 25 octobre, les autorités ont une nouvelle fois tenté, en vain, de tuer la mobilisation dans l'oeuf en érigeant barrages physiques et virtuels.

Khartoum est depuis plusieurs jours coupée de ses banlieues par des containers placés en travers des ponts sur le Nil.Internet et les téléphones portables ne fonctionnent plus depuis le matin et, sur les principaux axes, des membres des forces de sécurité juchés sur des blindés armés de mitrailleuses lourdes surveillent les passants.

Mais des milliers de Soudanais ont malgré tout répondu à la mi-journée à l'appel des militants à manifester "en mémoire des martyrs".

Car si 54 personnes ont été tuées et des centaines blessées depuis le putsch, le pays a connu un nouveau pic de violences jeudi, avec six manifestants tués à Khartoum selon un syndicat de médecins pro-démocratie. 

Des violences qui se sont déroulées à huis-clos ce jour-là car en plus de couper le pays du monde et Khartoum de ses banlieues, des officiers en tenue régulière ont arrêté et même passé à tabac les journalistes de deux chaînes saoudiennes.

- "Les militaires à la caserne" -

Dimanche de nouveau, ils étaient pourtant des milliers à défiler aux cris de "Les militaires à la caserne" et "Le pouvoir au peuple", tandis que des jeunes sur des motos sillonnaient la foule, prêts à embarquer les blessés, car à chaque mobilisation les ambulances sont bloquées par les forces de sécurité.

Les militants appellent à faire de 2022 "l'année de la poursuite de la résistance", réclamant justice pour les dizaines de manifestants tués depuis le putsch, mais aussi pour les plus de 250 civils abattus lors de la "révolution" de 2019.

Cette année-là, la pression populaire forçait l'armée à démettre l'un des siens, Omar el-Béchir, après trente années de dictature militaro-islamiste.

Alors, généraux et civils s'entendaient sur un calendrier de transition qui prévoyait une remise du pouvoir tout entier aux civils avant des élections libres en 2023.

Mais le 25 octobre, le général Burhane a rebattu les cartes: il a prolongé avec ce qu'il appelle sa "correction du cours de la révolution" son mandat de fait à la tête du pays de deux ans et réinstallé un mois plus tard le Premier ministre civil Abdallah Hamdok.Ce dernier n'est plus apparu en public depuis des jours alors que des rumeurs de démission ne cessent d'enfler.

Car le nouveau pouvoir peine toujours à présenter aux 45 millions de Soudanais le gouvernement civil qu'il promettait fin novembre en sortant M. Hamdok de résidence surveillée.

- "Ni partenariat ni négociation" -

Dans un pays quasiment toujours sous la férule de l'armée depuis son indépendance il y a 65 ans, les manifestants, eux, le clament: "ni partenariat, ni négociation" avec l'armée".

En face, un conseiller du général Burhane a jugé vendredi que "les manifestations ne sont qu'une perte d'énergie et de temps" qui ne mènera "à aucune solution politique".

Dimanche encore, les autorités soudanaises seront observées par la communauté internationale qui dénonce une escalade.

Outre les morts et la coupure du téléphone et d'internet, les forces de sécurité sont également accusées d'avoir eu recours en décembre à un nouvel outil de répression: le viol d'au moins 13 manifestantes, selon l'ONU.

En outre, chaque jour et dans chaque quartier, les Comités de résistance, les groupuscules qui organisent les manifestations, annoncent de nouvelles arrestations ou disparitions dans leurs rangs.

Les Européens ont déjà exprimé leur indignation, de même que le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken et l'ONU.Tous plaident régulièrement pour un retour au dialogue comme préalable à la reprise de l'aide internationale coupée après le putsch dans ce pays, l'un des plus pauvres au monde.