Alors qu’une commission d’enquête parlementaire française vient de formuler 45 recommandations pour une reconnaissance nationale des conséquences sanitaires des essais nucléaires en Polynésie, en Algérie, le dossier reste presque figé. Soixante-cinq ans après les premières explosions dans le Sahara, les habitants des zones irradiées n’ont pas obtenu réparation.
Le 13 février 1960, en pleine guerre d’indépendance, la France réalise son premier essai nucléaire à Reggane, dans le sud du Sahara algérien. L’explosion, d’une puissance de 70 kilotonnes — soit trois à quatre fois celle d’Hiroshima — illumine le ciel dans un gigantesque éclair. Baptisé Gerboise bleue, l’essai atmosphérique libère un immense nuage radioactif.
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Les vents le transportent au-dessus de villages et de zones habitées, exposant les populations locales, le personnel et les militaires à des niveaux élevés de radiation. Ni évacuation, ni prévention : les mesures de sécurité et d’information des habitants ont été très limitées, voire inexistantes.
Des déchets nucléaires toujours enfouis dans le sous-sol algérien
Entre 1960 et 1966, la France a procédé à 17 essais nucléaires dans le sud algérien, d'abord à Reggane, puis dans la région d’In Ekker. Et ce, malgré l’indépendance algérienne obtenue en 1962, en raison d'une clause secrète des accords d’Évian.
Si la Polynésie a depuis obtenu reconnaissance et début d’indemnisation, les victimes algériennes attendent toujours. Ces explosions, souterraines et atmosphériques, ont laissé des séquelles durables : des populations locales irradiées, des terres et nappes phréatiques contaminées, et des déchets nucléaires enfouis dans le désert, sans jamais avoir été correctement traités.
Village de la commune de Tindouf à l'Ouest de l'Algérie.//Pexels
Une diffirence de traitement des victimes
Depuis la loi Morin de 2010, censée ouvrir un droit à réparation pour les victimes civiles et militaires des essais nucléaires français, seules 52 demandes algériennes ont été transmises au comité d’indemnisation, sur les 1 739 recensées. Un seul dossier aurait abouti.
"Il n’y a pas de recensement précis du nombre de personnes exposées en Algérie, c’est un véritable problème", déplore Patrice Bouveret, directeur de l’Observatoire des armements. Pour lui, cette loi “limite le nombre de personnes” pouvant accéder à l’indemnisation.
Les critères restrictifs de cette législation et le flou autour des zones irradiées freinent les demandes. "Il y a une différence entre les deux zones et entre les deux populations (polynésienne et algérienne) qui ont été impactées", souligne-t-il.
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Un appel à la responsabilité française
Plus de six décennies après les essais, les habitants des régions de Reggane et d’In Ekker continuent à souffrir des conséquences : cancers, malformations congénitales, terres interdites à la culture et à l’habitat. Le président algérien Abdelmadjid Tebboune, dans un entretien à L’Opinion, a réclamé "les cartes topographiques précises des sites contaminés et des zones d’enfouissement des déchets radioactifs". En janvier dernier, le président du Conseil de la Nation (équivalent du Sénat français), Salah Goudjil, a réitéré cette exigence, appelant la France à "assumer pleinement sa responsabilité".
Une autre difficulté en Algérie : il n’y a pas eu de constitution d’association de victimes. En France, le centre de recherche dirigé par Patrice Bouveret, l’Observatoire des armements, a été un lanceur d’alerte qui a contribué à la formation d’une commission d’enquête pour la Polynésie. En Algérie, les victimes sont isolées : "Elles n’ont pas de lieu où se rassembler, pour discuter, pour être au courant, pour savoir que leur maladie peut être liée à ça."
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Pour qu’une enquête puisse être menée et qu’une commission soit créée, un accord entre l’Algérie et la France est nécessaire. Or, depuis l’été 2024, les relations entre les deux pays se sont détériorées, notamment après la reconnaissance par le président Emmanuel Macron de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Cette décision a ravivé les tensions diplomatiques, exacerbées ensuite par l’incarcération de l’écrivain Boualem Sansal et les prises de position du ministre de l’Intérieur français, Bruno Retailleau. Malgré ce contexte tendu, la France reste "responsable" pointe Patrice Bouveret, "des dégâts causés à l’environnement" et à la santé des populations exposées aux essais nucléaires.
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