Vendredi dernier, plus de 300 élèves ont été enlevés dans une école située dans l’État du Niger, à environ 600 km au nord-ouest d’Abuja. C’est la plus grande attaque de ce type depuis l’enlèvement des 276 lycéennes de Chibok en 2014. Comment une telle attaque a-t-elle pu se produire ?
En fait, après l’incident de Chibok en 2014, beaucoup de Nigérians pensaient qu’il y aurait des mesures plus proactives pour éviter que ce genre d’événements ne se reproduisent. Malheureusement, c’est arrivé encore une fois.
Je ne peux pas dire que le gouvernement ne fait pas de son mieux, mais ce que les États-Unis ont constaté, c’est que ce “mieux” n’est peut-être pas suffisant pour gérer cette crise. Nous ne nous attendions vraiment pas à ce que des enlèvements massifs aient lieu à nouveau. Et ce sont encore des élèves qui en sont victimes.
Des hommes armés avaient déjà kidnappé, lundi dernier, 25 jeunes filles, après avoir attaqué un lycée dans l’État voisin de Kebbi. Ces attaques surviennent aussi après les accusations de Donald Trump, qui affirme que le gouvernement nigérian tolère un génocide contre les chrétiens. Pensez-vous, comme certains membres de l’International Crisis Group, que ces déclarations peuvent attiser les tensions et encourager certains groupes à passer à l’action ?
Personnellement, je ne pense pas. Je ne pense pas que ces groupes agissent à cause des propos du président Trump. Avant ce discours, ils menaient déjà des attaques.
Le discours a peut-être intensifié leurs attaques ou augmenté leur fréquence, mais soyons honnêtes : cela dure depuis des années, depuis les enlèvements à Chibok. Je ne peux donc pas dire que c’est exactement à cause de la déclaration de Trump qu’ils attaquent. Ces groupes enlèvent et attaquent des gens presque chaque semaine dans de nombreuses communautés. Ça fait longtemps que ça dure.
Comment évalueriez-vous la situation sécuritaire au Nigeria par rapport aux années précédentes ?
Depuis 2006 jusqu’à novembre de cette année, nous avons enregistré environ 45 913 incidents violents, qui ont entraîné 11 897 morts. Cela concerne la période de 2006 à novembre 2025.
Et rien que pour l’année 2025, la criminalité a été une des principales causes de décès, faisant environ 5 600 morts. Donc, il n’est pas surprenant que nous ayons des cas de banditisme, d’affrontements entre éleveurs peuls et agriculteurs, et ces enlèvements massifs. Ce n’est pas étonnant, parce que la criminalité reste une cause majeure de mortalité au Nigeria.
Personne n’a revendiqué ces enlèvements. Plusieurs acteurs pourraient en être responsables : des groupes djihadistes comme Iswap ou Boko Haram, mais aussi des groupes de bandits. Est-ce que ces acteurs sont devenus plus puissants au fil des années ?
On constate qu’il y a de multiples acteurs impliqués dans ces crises. Comme vous l’avez dit : il y a des djihadistes, des militants, des éleveurs peuls armés, des acteurs internationaux, des gangs locaux, des milices communautaires, et même, dans certains cas, des politiciens ou des agents de sécurité qui peuvent être complices. Donc, il y a énormément d’acteurs impliqués. Pourquoi cela dure-t-il depuis si longtemps ? Parce que la situation est complexe, avec des acteurs indirects et discrets, dont les activités ne sont pas toujours visibles. Il y a probablement des opérations secrètes qui contribuent à alimenter la crise et à renforcer les groupes armés non étatiques.
Une autre question importante est : d’où viennent leurs armes ? Qui les leur fournit ?
Est-ce que ce sont des agents de sécurité corrompus ? On ne peut pas le prouver, mais certains éléments laissent penser que des armes proviennent de sources internes. Quand on voit la puissance des armes qu’ils utilisent, on se demande : est-ce que ces armes viennent des forces de sécurité ? Est-ce qu’elles sont volées lors d’attaques contre des casernes ou des postes de police ? Est-ce qu’elles viennent de Libye ou d’autres pays voisins d’Afrique ?
Dans votre rapport 10 myths about violence in Nigeria, vous expliquez qu’il existe une idée reçue selon laquelle il y aurait des affrontements entre les deux principales religions du pays : musulmans et chrétiens. Est-ce un mythe entretenu aussi par certains au Nigeria ?
Je sais qu’il existe différents mythes. Nous avons publié un rapport sur les mythes au Nigeria. Par exemple, on dit que le Nigeria devient de plus en plus violent. Mais certains d’entre nous pensent que ce n’est pas complètement vrai. C’est une supposition, parce que si on regarde à l’échelle nationale, on peut dire que seulement certains États connaissent une augmentation progressive de la violence.
Dans d’autres États, qui sont plutôt calmes et stables, on ne peut pas dire que la violence est en hausse. Il est donc plus logique de dire : certains États deviennent très violents, plutôt que de dire que tout le Nigeria devient violent.
Un autre mythe concerne le dialogue entre groupes religieux et ethniques. On dit que les Musulmans détestent les Chrétiens, les Chrétiens détestent les Musulmans, et qu’ils ne peuvent pas dialoguer ni travailler ensemble. Mais ce n’est pas vrai partout.
- Lire aussi : Nigéria. Une résurgence de Boko Haram et Iswap ? : “Ces groupes-là n’ont jamais été absents”
Dans certaines régions, comme à Jos et Kaduna, il y a eu des dialogues intercommunautaires qui ont amélioré la sécurité, au moins en partie. Peu importe la religion, des gens se sont réunis, ils ont discuté, négocié, défini des zones à éviter, proposé des solutions communes.
Cela existe, ce n’est pas juste une question de “je suis chrétien, je ne parlerai pas avec un musulman” ou “je suis musulman, je ne collaborerai pas avec un chrétien”. Ce n’est pas vrai, il y a bien des formes de coopération.
On peut dire que ces dialogues ne résolvent pas tout, qu’ils ne sont pas toujours très efficaces, et qu’ils ne fonctionnent pas partout, comme dans certaines régions du Nigeria où ils ne portent pas encore leurs fruits.
Mais on ne peut pas dire qu’ils sont inutiles ou non pertinents, parce qu’ils ont montré une certaine réussite dans des zones comme Jos et Kaduna.
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