Sénégal. Fouilles archéologiques au cimetière de Thiaroye : "Avec les premiers résultats, nous avons davantage de zones d’ombre que de certitudes", explique Moustapha Sall, archéologue

Actus. Moustapha Sall est archéologue et président de la sous-commission d'archéologie qui a mené des fouilles de mai à octobre, au cimetière militaire de Thiaroye, au Sénégal. Il était l'invité d'Africa Radio ce lundi 1er décembre.

Sénégal. Fouilles archéologiques au cimetière de Thiaroye : "Avec les premiers résultats, nous avons davantage de zones d’ombre que de certitudes", explique Moustapha Sall, archéologue
Des tirailleurs prisonniers au Frontstalag 230 de Poitiers - Wikipédia

Vous êtes archéologue et vous êtes le président de la sous-commission d'archéologie qui a mené des fouilles de mai à octobre au cimetière militaire de Thiaroye, au Sénégal, où, 81 ans plus tôt, le 1er décembre 1944, des tirailleurs africains avaient été tués par des membres de l'armée française. Ces fouilles étaient une première étape, mais vont-elles se poursuivre ?

Absolument. Les premières fouilles qu’on avait faites étaient dans le cadre d’une vérification de certaines hypothèses relatives au lieu du massacre, au lieu d’enterrement et, peut-être, à la manière dont le cimetière a été créé, et où, en fait, certaines victimes du 1er décembre 1944 auraient été enterrées.

Là, l’idée, c’était de faire des tests au niveau des lots, qui sont composés de 34 tombes. Ce qui comptait, c’était de vérifier : est-ce que ces tombes sont anciennes ou sont-elles postérieures au lieu du massacre ? Ensuite, est-ce qu’il y a une anomalie ? Et c’est pourquoi nous, les archéologues, avions jugé nécessaire de faire un transfert, de pratiquer des coupes, des sondages.

Quelles sont les zones d’ombre ?

Actuellement, il y a plus de zones d’ombre que de certitudes ou d’évidences. Parce qu’en fait, effectivement, les sources archivistiques, qui sont actuellement parcimonieuses – certaines, dont même mes collègues historiens disent qu’elles sont caviardées, d’autres sont classées « top secret ».

Ensuite, il y a un manque d’informations par rapport à cet événement-là. Et les témoignages de descendants des tirailleurs ou des anciennes populations qui occupaient cette zone de Thiaroye localisent aussi plusieurs endroits.
Les recherches qu’on avait faites, les premiers résultats montrent qu’effectivement il y a encore plus de problèmes, surtout pour nous dire, parce qu’on a juste devant nous, au niveau des 70 tombes que nous avions fouillées d’abord, trois méthodes d’enterrement.

Déjà, une certitude : les tombes sont postérieures au massacre, parce qu’on a vraiment des incohérences entre les dimensions et les tombes. Ensuite, au niveau des rangées, on a décelé deux principaux modes de violence.
Dans la première rangée, on a trouvé des individus qui étaient habillés, donc ils sont à coup sûr des militaires ou des soldats, parce qu’ils avaient tout l’équipement, les vêtements, l’habillement de soldats, et certains étaient attachés, les pieds étaient attachés.

Dans la deuxième rangée, on a trouvé des individus qui ont été enterrés dans des coffrages en bois, pour ne pas dire des cercueils, et dont le corps manque énormément d’éléments : des côtes, de la colonne vertébrale, du bassin. Donc ce sont des individus qui étaient complètement mutilés et qui étaient dans des coffrages en bois.

Plusieurs historiens ont appelé à étendre les fouilles notamment au camp militaire voisin. Est-ce que c’est prévu ?

Oui, il est prévu d’étendre les fouilles archéologiques au-delà du cimetière de Thiaroye, notamment au camp militaire voisin. Les recherches commencent par un scan du cimetière à l’aide d’un radar à pénétration du sol, puis s’étendent à toute la zone environnante : cimetière, camp militaire, foirail, école, lycée. Tous les lieux indiqués par les sources archivistiques ou les populations locales feront l’objet d’une prospection minutieuse. Dès que des indices sont découverts, des sondages archéologiques sont réalisés sur place.

De plus, pour les sept squelettes déjà exhumés, des prélèvements génétiques ont été effectués à partir des dents. Ces analyses permettront d’établir les cartes génétiques et d’identifier le génome des individus, ce qui aidera à mieux comprendre leur identité.

Ces fouilles sont menées dans l’objectif de faire toute la lumière sur le massacre de 1944, un événement entouré de nombreuses zones d’ombre, avec des archives parfois caviardées ou classées « top secret » et des témoignages dispersés. Cette démarche archéologique inédite vise à compléter les connaissances historiques et à rendre justice aux victimes.

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