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Ethiopie: à Mai-Kadra, un massacre terrifiant et de nombreuses questions

Entassés dans un fossé en bord de route, des dizaines de cadavres pourrissent au soleil de Mai-Kadra, sans sépulture, deux semaines après le massacre dont a été le théâtre cette localité du Tigré, région en conflit du Nord de l'Ethiopie.

Personne ne nie que quelque chose de terrible s'est pass&eacute; ici le 9 novembre: des centaines de civils ont &eacute;t&eacute; tu&eacute;s, &agrave; coups de b&acirc;tons, de couteaux, de machettes et de hachettes, voire &eacute;trangl&eacute;s avec des cordes.
Mais les atrocit&eacute;s font l'objet d'accusations crois&eacute;es impliquant chaque camp du conflit au Tigr&eacute;, o&ugrave; les forces progouvernementales affrontent les troupes des autorit&eacute;s r&eacute;gionales du Front de lib&eacute;ration du Peuple du Tigr&eacute; (TPLF).
Une &eacute;quipe de l'AFP a &eacute;t&eacute; autoris&eacute;e par le gouvernement f&eacute;d&eacute;ral &agrave; visiter il y a quelques jours Mai-Kadra, qui comptait 40.000 habitants avant le conflit.Les habitants de l'ethnie amhara, originaires de la r&eacute;gion voisine du m&ecirc;me nom, accusent leurs voisins tigr&eacute;ens - dont la plupart ont quitt&eacute; la ville - d'avoir pris part aux atrocit&eacute;s, alors que l'arm&eacute;e &eacute;thiopienne se rapprochait.
"Des miliciens et policiers (de la r&eacute;gion du Tigr&eacute;, NDLR) nous ont attaqu&eacute;s avec des armes &agrave; feu, les civils avec des machettes", raconte sur son lit de l'h&ocirc;pital Misganaw Gebeyo, ouvrier agricole de 23 ans, une vilaine cicatrice d&eacute;passant du bandage enserrant sa t&ecirc;te: "toute la population a particip&eacute;".
Avant d'&ecirc;tre frapp&eacute; avec une machette et laiss&eacute; pour mort, il a vu, terr&eacute; chez lui et terrifi&eacute;, un de ses amis &ecirc;tre d&eacute;capit&eacute; &agrave; la machette."Ils voulaient exterminer les Amhara", assure-t-il.
Le pr&eacute;sident du Tigr&eacute;, Debretsion Gebremichael, a fermement d&eacute;menti l'implication des troupes loyales au TPLF dans le massacre: "Cela ne peut pas avoir de liens avec nous (...) Nous avons nos valeurs, nous avons nos r&egrave;gles".

- loi du talion -

Au Soudan voisin en revanche, des Tigr&eacute;ens de Mai-Kadra rencontr&eacute;s par l'AFP dans des camps o&ugrave; s'entassent d&eacute;sormais environ 40.000 Ethiopiens, accusent l'arm&eacute;e f&eacute;d&eacute;rale et les miliciens amhara qui l'&eacute;paulent d'avoir attaqu&eacute; des civils.L'arm&eacute;e a pris contr&ocirc;le de la ville le 10 novembre.
"Les militaires &eacute;thiopiens (de l'arm&eacute;e f&eacute;d&eacute;rale) et les miliciens amhara sont entr&eacute;s dans la ville, ont tir&eacute; en l'air et sur des habitants", t&eacute;moigne &agrave; l'AFP Marsem Gadi, un fermier de 29 ans, r&eacute;fugi&eacute; dans le camp d'Oum Raquba.
"J'ai vu des hommes en civil attaquer des villageois avec des couteaux et des haches", explique-t-il, "les cadavres jonchaient les rues".
Avant de fuir vers le Soudan, Marsem est repass&eacute; chez lui.Sa maison avait &eacute;t&eacute; pill&eacute;e et sa femme et leur enfant de trois ans avaient disparu: "Je ne sais pas s'ils sont toujours en vie".
Elle aussi sans nouvelles de son mari et de ses deux enfants, Elifa Sagadi, r&eacute;fugi&eacute;e dans le m&ecirc;me camp, pointe du doigt les "soldats d'Abiy Ahmed", le Premier ministre, et les milices Amhara "Fano"."Sur la route, j'ai vu au moins 40 cadavres".
Face &agrave; des t&eacute;moignages de ce genre, Addis Abeba a indiqu&eacute; avoir r&eacute;colt&eacute; "des renseignements cr&eacute;dibles selon lesquels des agents du TPLF ont infiltr&eacute; les camps de r&eacute;fugi&eacute;s ayant fui au Soudan pour mener des missions de d&eacute;sinformation".
Cependant, selon Fisseha Tekle, chercheur &agrave; Amnesty International, organisation qui a r&eacute;v&eacute;l&eacute; l'existence de ce massacre, les deux r&eacute;cits "ne sont pas forc&eacute;ment contradictoires": une sorte de loi du talion ethnique, r&eacute;v&eacute;lant les dangers d'un conflit susceptible de d&eacute;g&eacute;n&eacute;rer en affrontement communautaire.
"Nous ne connaissons pas l'ampleur r&eacute;elle" de ce qui s'est pass&eacute; &agrave; Mai-Kadra, explique-t-il &agrave; l'AFP.
En r&eacute;v&eacute;lant ce massacre, le plus meurtrier connu depuis le d&eacute;but du conflit au Tigr&eacute; le 4 novembre, l'organisation de d&eacute;fense des droits humains n'en a pas d&eacute;sign&eacute; express&eacute;ment les auteurs.
Mais elle a cit&eacute; des t&eacute;moins accusant des troupes tigr&eacute;ennes loyales au TPLF, de s'&ecirc;tre attaqu&eacute;es pendant leur retraite &agrave; des habitants de l'ethnie amhara.
Mardi, la Commission &eacute;thiopienne des Droits humains (EHRC), institution publique ind&eacute;pendante, a accus&eacute; une milice de jeunes Tigr&eacute;ens &eacute;paul&eacute;e par les forces de s&eacute;curit&eacute; locales, d'avoir massacr&eacute; &agrave; Mai-Kadra au moins 600 personnes "pr&eacute;-identifi&eacute;es &agrave; partir de leur appartenance ethnique".
Le Premier ministre Abiy Ahmed, qui a lanc&eacute; l'arm&eacute;e f&eacute;d&eacute;rale &agrave; l'assaut du Tigr&eacute; pour en d&eacute;loger le TPLF qui le d&eacute;fiait depuis des mois, a y a vu une raison suppl&eacute;mentaire pour justifier son op&eacute;ration.
L'enqu&ecirc;te impartiale r&eacute;clam&eacute;e par l'ONU et les d&eacute;fenseurs des droits de l'Homme semble peu probable &agrave; court terme au vu du black out et des restrictions de d&eacute;placement auxquels est soumis le Tigr&eacute;, o&ugrave; les combats continuent.

- "nettoyage ethnique" -

Entour&eacute;e de champs de s&eacute;same et de sorgho, Mai-Kadra a &eacute;t&eacute; &eacute;pargn&eacute;e par les impacts d'obus et de balles qui d&eacute;figurent d'autres localit&eacute;s de l'Ouest du Tigr&eacute;.Ses plaies sont moins visibles mais s&ucirc;rement plus profondes.
Une cinquantaine de tombes fra&icirc;chement creus&eacute;es trouent le sol du parc de l'&eacute;glise de la ville.A c&ocirc;t&eacute; des pelles, des d&eacute;sodorisants vides, dont les restes d'effluves citronn&eacute;es peinent &agrave; masquer la puanteur de mort.
"Moi, j'ai vu le v&eacute;ritable enfer, ici &agrave; Mai-Kadra", assure l'administrateur de la ville, Fentahun Bihohegn, tout juste nomm&eacute; par le gouvernement f&eacute;d&eacute;ral.
"Un nettoyage ethnique brutal a &eacute;t&eacute; commis contre le peuple amhara", dont il est issu, poursuit M. Fentahun, accusant les "criminels" du TPLF.
Depuis que les forces gouvernementales ont pris la ville, il est clair que les Amhara la g&egrave;rent.Prot&eacute;g&eacute; par trois gardes arm&eacute;s, M. Fentahun assure qu'il reste des habitants tigr&eacute;ens, mais n'est capable d'en identifier aucun.
Depuis des d&eacute;cennies, Amhara et Tigr&eacute;ens ne vivent pas toujours en bon voisinage, leurs relations &eacute;tant empoisonn&eacute;es par des diff&eacute;rends fonciers d&eacute;g&eacute;n&eacute;rant parfois en violences.
Le fait que Mai-Kadra soit d&eacute;sormais dirig&eacute;e par des Amhara soulage les membres de cette communaut&eacute; mais fait craindre &agrave; terme de nouvelles crispations.
"A pr&eacute;sent, je me sens tr&egrave;s libre", explique Adugna Abiru, fermier amhara install&eacute; &agrave; Mai-Kadra depuis 20 ans."Avant, quand vous vous exprimiez au t&eacute;l&eacute;phone en amharique et non en tigrinya (la langue tigr&eacute;enne), les gens vous regardaient de travers.Vous ne vous sentiez pas en s&eacute;curit&eacute;."
M. Fentahun, le nouvel administrateur, assure que les Amhara ne cherchent pas &agrave; se venger des Tigr&eacute;ens.A l'instar du gouvernement d'Addis Abeba, il appelle au contraire les r&eacute;fugi&eacute;s &agrave; rentrer du Soudan, &agrave; pr&eacute;sent que les combats sont termin&eacute;s dans cette partie du Tigr&eacute;.
"Notre vision, c'est de cr&eacute;er un endroit s&ucirc;r pour chaque Ethiopien", dit-il, "nous voulons faire de cet endroit un havre de paix &nbsp;o&ugrave; tout le monde peut vivre ensemble."

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