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Au Cameroun, les chanteuses de bikutsi célèbrent la sexualité féminine

Il est une heure du matin au Quebec, un cabaret niché dans un coin chaud de Yaoundé où les bières défilent à un rythme effréné. Le public bout d'impatience.Enfin les percussions se mettent à résonner, la guitare s'excite, et les projecteurs illuminent des hanches qui ondulent, tournoient, convulsent.Des chanteuses de bikutsi font leur entrée.

"J&rsquo;ai envie de, envie de, envie de faire...j&rsquo;ai envie de...", entonnent-elles."Fallait pas assurer wo oooho fallait pas bien dribbler wo oooho"...
Des textes crus qui abordent les relations amoureuses et la sexualit&eacute;, des m&eacute;taphores hardies chant&eacute;es par des voix chaudes et puissantes, des coups de reins vertigineux &agrave; en donner le tournis: voil&agrave; la savoureuse recette du bikutsi.Un rythme fr&eacute;n&eacute;tique aux allures d'exutoire, originellement pratiqu&eacute; par les femmes du centre et du sud du Cameroun, qui occupe depuis trois d&eacute;cennies le devant de la sc&egrave;ne musicale de ce pays d'Afrique centrale.
Robe en dentelle noire, caraco gris &eacute;lectrique, top au dessus du nombril et talons stillettos, les trois divas du soir reprennent en choeur un tube de Coco argent&eacute;e, une des reines bikutsi du moment dont les vid&eacute;o accumulent des millions de vues sur YouTube.
"J'ai mis ma vie en suspens pour ta carri&egrave;re, j'ai sacrifi&eacute; ma vie pour ton avenir et, une fois devenu cadre, tu m'as largu&eacute;e", chantent-elles avant de casser le dos, balan&ccedil;ant leur bassin d'avant en arri&egrave;re.&nbsp;
La plus jeune poursuit en solo: "Aujourd'hui je carbure en euro, esp&egrave;ce de looser, la vengeance est un plat qui se mange froid"...Dans la salle, des femmes de tous &acirc;ge se l&egrave;vent et dansent avec elles.Les hommes tapent des mains, s'interpellent.Trois t&eacute;m&eacute;raires grimpent sur l'estrade se mesurer &agrave; elle.
"Montre moi comment tu danses", envoie l'&eacute;ffront&eacute;e au premier."Doucement, j'ai dit doucement", ordonne-t-elle au suivant.&Eacute;paules bomb&eacute;es et sourire en coin, le dernier fanfaron s'&eacute;lance, s'agenouille &agrave; hauteur de son pubis et oscille la t&ecirc;te vers la gauche, puis la droite."Alors c'est comme &ccedil;a que tu fais la danse ? ", lui envoie-t-elle, moqueuse, avant de le faire quitter la sc&egrave;ne sous les exclamations d'un public hilare.

- "La queue de ma chatte" -

La plupart des chanteuses de bikutsi abordent sans d&eacute;tour la question du plaisir f&eacute;minin."Dans une soci&eacute;t&eacute; o&ugrave; on apprend aux jeunes filles &agrave; &ecirc;tre r&eacute;serv&eacute;es et discr&egrave;tes, des femmes se sont mises &agrave; chanter haut et fort leurs envies sexuelles", souligne Flora Amabiamina, qui enseigne les Lettres &agrave; l'Universit&eacute; de Douala.
Des femmes comme K-Tino, la m&egrave;re du bikutsi qui, au d&eacute;but des ann&eacute;es 90, marqu&eacute;es par une vague de revendications d&eacute;mocratiques, enflammait les Camerounais autant qu'elle les choquait avec ses titres "La queue de ma chatte", "Action 69" ou "le 7&egrave;me ciel".&nbsp;
"En exprimant leurs d&eacute;sirs et en clamant leur droit au plaisir, tout en minorant parfois le r&ocirc;le de l'homme, ces femmes s'affichent en ma&icirc;tresse de leur sexualit&eacute;", ajoute la chercheuse.&nbsp;
Cette libert&eacute; de ton scandalisa &agrave; l'&eacute;poque une partie de l'opinion, qui accusa le bikutsi f&eacute;minin d'&ecirc;tre immoral et pornographique, qualifi&eacute; par exemple de "Chansons de Sodome et Gomorrhe", ouvrage du philosophe camerounais Hubert Mono Ndjana qui fit grand bruit lors de sa publication en 1999.&nbsp;
Il faut dire que ces chansons aux paroles le plus souvent sexuellement explicites suscitent un tel engouement qu'elles passent en boucle lors des f&ecirc;tes de famille, o&ugrave; les enfants se mettent eux aussi &agrave; les chanter &agrave; tue-t&ecirc;te, fait remarquer Mme Amabiamina.&nbsp;

- Exutoire -

M&ecirc;me si la variante moderne de ce rythme traditionnel a &eacute;t&eacute; popularis&eacute;e d&eacute;but des ann&eacute;es 80 par des hommes, notamment avec la guitare &eacute;lectrique, les femmes "sont bien &agrave; l'origine" de ce genre musical, insiste l'universitaire.&nbsp;
Le bikutsi est n&eacute; &agrave; l'&eacute;poque pr&eacute;-coloniale dans les r&eacute;gions des ethnies fang, bulu et beti, dans le centre et le sud du Cameroun, o&ugrave; les femmes se retrouvaient entre elles apr&egrave;s une dure journ&eacute;e de travail, sans les hommes, pour chanter et danser leurs joies, leurs peines et leurs frustrations.&nbsp;
Dans ce sas de libert&eacute;, certaines exprimaient par exemple la douleur de vivre au c&ocirc;t&eacute; d'un mari violent, ou d'autres, encore, livraient aux plus jeunes les secrets d'un mariage r&eacute;ussi.
Un "exutoire" dans ces "soci&eacute;t&eacute;s patriarcales", o&ugrave; il &eacute;tait interdit &agrave; ces villageoises "d'&eacute;lever le ton en public", r&eacute;v&egrave;le l'ethnomusicologue camerounais Jean Maurice Noah dans son ouvrage "Le Bikutsi du Cameroun".
"Je suis fi&egrave;re de perp&eacute;tuer cet art de mes anc&ecirc;tres", l&acirc;che la jeune chanteuse Olivia Beyene &agrave; la sortie du Quebec.Elle essuie la sueur de son visage apr&egrave;s une heure de show, tout en remerciant les clients venus la f&eacute;liciter.&nbsp;
"Je suis fi&egrave;re, poursuit-elle,&nbsp;de continuer &agrave; chanter comme elles l'amour, la violence, les injustices, de porter moi aussi la voix des femmes camerounaises".&nbsp;

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