Musique. Face au manque de représentations, ces DJ afrodescendantes créent leurs propres espaces

Actus. Des femmes transforment les obstacles en force, pour se faire une place dans le milieu du Djing. Elles soignent aussi bien le choix de leurs musiques, au carrefour des sonorités afro diasporiques, d’Afrique de l’Est, de l’ouest et du sud, que les lieux où elles se produisent.

Musique. Face au manque de représentations, ces DJ afrodescendantes créent leurs propres espaces
Femme DJ (photo d'illustration) - Pexels

Quand Marina Wilson, aka DJ Cheetah, prend les platines, les corps rebondissent au rythme des classiques de Meiway, Koffi Olomidé, et les mouchoirs ne tardent pas à sortir.

Présente depuis 2016 dans le monde de la nuit, la DJ organise désormais ses propres soirées pour mettre en avant des genres hybrides, mêlant hip-hop, trap, afro-trap, coupé-décalé ou encore ndombolo.

Une envie motivée par des expériences insatisfaisantes lors de son arrivée en France en 2012. Passionnée de musiques africaines et également de hip-hop, elle a été déçue par le manque de représentation des sonorités afro dans les soirées et l’entre-soi du milieu du hip-hop. "Les gens ne m'ont pas fait sentir que j'étais la bienvenue", explique-t-elle. C'était beaucoup de réflexions comme 'tu n'es pas comme nous parce que tu n'as pas grandi ici'".

En neuf ans, la DJ, qui parvient à vivre de cette activité en plus de ses missions de consultante et de curatrice culturelle, a réussi à imposer son univers.

Ce qui lui a permis de mixer en première partie de la chanteuse américaine Janelle Monáe lors du festival Afropunk, en 2018, et de lui rouvrir les portes du milieu hip-hop en apparaissant dans les deux premières saisons de l’émission Nouvelle École sur Netflix. Mais le chemin n’a pas été simple.

En plus d’imposer son style, elle a dû également s’imposer en tant que femme.

Elle décrit certaines attitudes observées pendant ses sets comme intrusives, notamment lorsque des hommes s’approchaient de sa table de mixage sans y être invités. Une situation qu’elle compare à une volonté de “marquer son territoire”.

Même si les démonstrations de sexisme ont diminué, selon la DJ, et que les hommes ont l’habitude de voir des femmes mixer, "cela continue encore aujourd’hui", souligne-t-elle.

À l’image de DJ Cheetah, de nombreuses femmes et collectifs ont choisi de lancer leurs propres événements, déterminées à mettre en lumière leur univers et à combler le déficit d’opportunités auquel elles sont confrontées en tant que femmes, où leur présence dans ce milieu est en progression.

Une lente progression de la présence des femmes dans le milieu du Djing 

Le dernier état des lieux sur la représentation des femmes DJs, publié cette année par l’International Music Summit (IMS), une conférence internationale dédiée à la musique électronique, montre une progression régulière du nombre de femmes dans ce milieu. «

En deux ans, leur part est passée de 13 % en 2022 à 16 % en 2024. Ce rapport analyse les inscriptions sur des plateformes professionnelles, le streaming et les programmations de festivals, montrant une hausse progressive de la part des femmes DJs et artistes féminines.

Par ailleurs, un autre rapport, publié en 2024 par la plateforme Female:pressure, spécialisée dans la place des femmes et minorités de genre dans la musique électronique, révèle que la part des artistes féminines dans les programmations de festivals est passée de 9,2 % en 2012 à près de 30 % entre 2022 et 2023. Ce rapport souligne aussi que les festivals financés par des fonds publics ou dirigés par des femmes affichent des taux de représentation féminine plus élevés, tandis que les grands festivals continuent à programmer majoritairement des artistes masculins.

Pour réaliser cette étude, les données sont collectées à partir des sites web officiels des festivals, des affiches, ainsi que grâce à un formulaire participatif ouvert au public. Chaque artiste est ensuite classé selon son genre apparent ou déclaré, ce qui permet d’établir des statistiques précises sur la présence des femmes et minorités de genre dans les line-ups, avec une analyse croisée par pays, type de festival ou mode de financement.

"Ce n’est qu’un reflet de la société. On connaît la place des femmes, en particulier dans la musique", souligne DJ Songo, une DJ, chanteuse et productrice franco-djiboutienne de 26 ans.

Depuis qu’elle a commencé à mixer il y a deux ans, elle fait le tour du monde et a réussi à présenter son univers afro-futuriste lors d'une soirée organisée par la marque Adidas.

Mais pour certains, sa réussite serait liée à son physique. "Il y a des gens qui sont surpris de voir à quel point je marche, et ils disent : 'Mais c’est parce qu’elle est belle.' Mais non", regrette-t-elle.

Dans ce milieu très concurrentiel, les DJs, hommes comme femmes, se mettent de plus en scène sur les réseaux sociaux pour présenter leur univers et se démarquer. Mais cet aspect du métier se révèle être une arme à double tranchant.

"C'est un métier où l'image compte de plus en plus"

Comme DJ Songo, Lola Ondikwa a dû composer avec les injonctions liées à l’apparence et à la visibilité dans ce milieu. "Dès que j'ai commencé à prendre un peu plus au sérieux cette histoire de réseaux sociaux, forcément, j'ai été plus visible à certains endroits et donc plus appelée", explique Lola Ondikwa, DJ franco-ivoirienne de 27 ans. Comme c'est un métier où l'image compte de plus en plus, il y a du beauty privilege, il y a du colorisme, il y a de la grossophobie. Tous les corps ne sont pas autant visibles, tous les corps ne sont pas défendus.", analyse-t-elle. 

Pour échapper à ces injonctions, Lola, comme Songo, ont décidé de privilégier les événements mettant en avant des femmes. "Ça a plus de sens de m'organiser avec les miens pour mes combats plutôt que d'essayer de taper à la porte des line-ups de personnes qui ne me représentent pas et qui ne me représenteront jamais", souligne-t-elle.

Lola est même allée plus loin en créant son association Le Maquis des Dégâts, qui a l’ambition de représenter des "personnes qui partagent son combat en termes de visibilité, de représentation des personnes comme moi", explique-t-elle, à savoir des artistes afrodescendants et queer. Elle aimerait poursuivre son initiative en Côte d’Ivoire.

"Je n’ai pas envie de passer ma vie à me battre pour être incluse et acceptée dans des espaces qui ne veulent pas de moi"

Tout comme DJ Cheetah, Lola Ondikwa a choisi de se battre pour l'inclusivité et la visibilité des femmes dans la scène musicale. Cependant, le défi est encore plus grand pour Masiaka, une dj malgache de 28 ans qui combine militantisme et quête d'une place dans un milieu qui la marginalise en raison de sa transidentité.

En 2022, elle a décidé de créer des soirées RnB et afro en programmant des DJ queer et racisés. Malgré son engagement à rémunérer les artistes, Masiaka ne parvient pas à se verser un salaire décent. Ce dernier s'élevait à 200 euros. "Vu tout le travail que je fournis, ce n’était pas du tout rentable", explique la DJ d’origine malgache.

Masiaka mixe depuis 2018. C’est durant une année scolaire passée en Afrique du Sud, de 2018 à 2019, qu’elle découvre le monde de la nuit. Elle y découvre notamment des clubs où des pistes de danse sont réservées aux femmes et aux queers. "Ça m'a donné envie de faire la même chose, et en fait, de faire danser les gens et créer des espaces où ils pourront être eux-mêmes", explique la DJ.

Mais aujoud'hui,  elle envisage une pause dans son activité de DJ. Les contraintes économiques, combinées à une forme de découragement face à la difficulté d’être pleinement reconnue, nourrissent cette réflexion.

« Je n’ai pas envie de passer ma vie à me battre pour être incluse et acceptée dans des espaces qui ne veulent pas de moi, détaille-t-elle. Actuellement, je fréquente des cercles où l’on respecte mes pronoms, mais où on refuse de me payer. C’est une vraie réflexion », confie-t-elle.

À son retour en France, elle a fait le choix de mixer uniquement dans les milieux militants, mais là aussi, elle déplore le manque de femmes transgenres et racisées dans les programmations, y compris dans celles censées représenter la communauté LGBTQIA+.

Selon elle, depuis qu’elle parle plus ouvertement de sa transidentité, elle a remarqué qu’elle est moins contactée. "J’étais bookée quatre à cinq fois par mois. Aujourd’hui, je le suis à peine une fois." Pour arrondir ses fins de mois, Masiaka cumule son activité de DJ avec des missions dans des bars en tant que serveuse. "

Selon l’International Music Summit, la proportion de DJs issus de minorités de genre est restée faible, oscillant entre 4 % et 5 % entre 2022 et 2024.

Se faire sa place sur cette scène musicale reste un défi pour Masiaka. Dans l’univers du DJing se croisent, ensemble ou séparément, différents obstacles tels que le favoritisme, les discriminations liées au genre, à l'ethnie, à l’orientation sexuelle et à l'identité.  

Alors que le Mois des fiertés bat son plein, et qu'il y a la Fête de la musique ce samedi 21 juin, elle n’a reçu aucune proposition. Elle en est consciente : ses prises de position, notamment sur les réseaux sociaux, peuvent aussi jouer contre elle. "Je suis une femme trans, noire. Je ne peux pas ne pas être politisée. Je fais des choix dans mes collaborations. Et ça ne plaît pas." 

C’est donc du côté du public que Masiaka vivra la Fête de la musique, en se rendant dans les événements alignés avec ses convictions.

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