Six mois après son acquittement lors du premier procès en France pour piraterie au large des côtes africaines, les longs mois passés en prison hantent encore le pêcheur somalien Abdulahi Guelleh Ahmed, qui attend à Paris son procès en appel.
Le pêcheur, seul acquitté de ce procès le 30 novembre 2011 après trois ans et trois mois de prison parce qu'il s'était trouvé malgré lui à bord du voilier le Carré d'As abordé par des pirates en septembre 2008, a demandé l'asile à la France.
En attendant le procès en appel, l'ancien pêcheur de requins et de langoustes, âgé de 37 ans, vit avec une allocation de 180 euros par mois et le soutien d'associations, dans une chambre de foyer de 8 m2 avec un lit, un évier, un frigo, et une chaîne hifi sur laquelle il écoute de la pop somalienne.
Vêtu d'un jean, de baskets et d'un pull en polaire, Abdulahi Guelleh Ahmed a appris le français tout seul, en griffonnant sur un cahier avec l'aide d'un dictionnaire somali-français, d'un livre d'orthographe et d'un manuel de grammaire qui trônent à côté de son oreiller.
Et, tous les jours, il ressasse l'incroyable coup du destin qui l'a placé sur ce voilier, lui le pêcheur réquisitionné par des pirates armés de kalachnikov parce qu'ils étaient en panne de moteur, le soir où l'armée française a débarqué pour libérer deux otages français.
Le pêcheur s'en effraie encore: l'hélicoptère qui l'a réveillé en pleine nuit, les menottes tellement serrées qu'il a eu des hématomes aux poignets pendant un mois, le transfert à Paris, dont il n'avait jamais entendu parler.
"J'avais vu des films américains, alors j'ai eu peur qu'il me tuent avec une seringue" comme dans les scènes de peine de mort, dit-il.
Quand les gardiens de la prison parisienne de la Santé ouvraient les portes en criant "promenade", Abdulahi Guelleh Ahmed était terrifié."Personne ne m'expliquait.J'ai compris après trois semaines quand un Arabe m'a dit: +Viens!+.En prison, il y a beaucoup de Maliens et d'Arabes.Ce sont eux les chefs", juge-t-il, avant de soupirer: "trois ans et trois mois, c'est long".
"Je ne veux pas retourner en prison"
"Dans ma cellule, il y avait deux autres personnes, des bagarres", dit-il avec dégoût.
"Quand on allait au procès, je regardais Paris par la fenêtre (du fourgon cellulaire, ndlr).Il y a beaucoup de maisons, les Parisiens marchent vite, ici tout le monde travaille", découvre-t-il."Chez moi, à Louk (sud de la Somalie), il n'y a pas d'électricité dans les maisons".
Sans amis ni famille en France, il travaille en prison, plie des chemises de marque et accroche des étiquettes aux goulots de bouteilles de champagne.Il a envoyé tout ce qu'il gagnait, soit 4.600 euros au total, à sa mère en Somalie, qui "s'est acheté une maison".
L'ancien pêcheur n'a pas de photo de sa mère, ni de son fils de 10 ans, Mohamed.Mais il leur parle souvent au téléphone.
Sa famille ne lui annoncé la mort d'un de ses frères en Somalie, tué à coups de couteau par des hommes qui voulaient voler son téléphone portable, que lorsqu'il est sorti de prison."En Somalie, il n'y a pas de travail et la guerre, beaucoup de violence, s'assombrit-il.Ici, la France, c'est bien pour le travail".
Pour l'instant cependant il n'a pas le droit de travailler et désespère parfois, d'autant qu'il ne connaît pas la date de son nouveau procès.
"Tu crois que ça va aller le jugement?", s'inquiète-t-il en se tournant vers son avocate Me Diane Loyseau de Grandmaison."J'ai peur du jugement, je ne veux pas retourner en prison!".
Ses cinq co-accusés ont écopé de peines allant de 4 à 8 ans de prison.
A ce jour, 22 Somaliens sont détenus dans des prisons françaises pour quatre prises d'otages.Le procès de l'une d'entre elles, concernant le voilier Le Ponant en avril 2008, s'ouvre mardi à Paris.
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