Une Cour d'appel de Mogadiscio a relaxé dimanche une Somalienne condamnée en première instance à un an de prison pour avoir affirmé avoir été violée par des membres des forces de sécurité et réduit de moitié la même peine prononcée contre un journaliste auquel elle s'était confiée.
"Après avoir rassemblé les preuves, la Cour a estimé que le journaliste avait trompé sa victime pour obtenir une interview, la Cour ordonne la relaxe de la femme alors que le journaliste devra passer six mois en prison pour outrage aux institutions", a annoncé le juge Hassan Mohamed Ali.
Lors de l'audience en première instance, le procureur général avait accusé les prévenus de s'être "unis pour outrager des institutions étatiques, la police et l'armée, en mettant sur pied une fausse histoire de viol".
La prévenue avait réaffirmé avoir été violée par cinq hommes, dont plusieurs armés de fusils mitrailleurs.
Elle n'avait pas été incarcérée à l'issue du jugement de première instance, le 5 février, le temps qu'elle finisse d'allaiter son bébé.Dimanche, elle s'est présentée au tribunal, dont elle ressortie libre après l'énoncé du verdict.
Incarcéré depuis janvier, le journaliste indépendant Abdiaziz Abdinuur, qui travaille pour plusieurs radios somaliennes et n'a jamais diffusé l'interview en question, a, lui, été emmené menotté vers un véhicule devant le ramener à la prison centrale de Mogadiscio.
"C'est totalement dément et injuste.Comment peuvent-ils emprisonner quelqu'un pour avoir interviewé une victime?" s'est indigné Omar Faruk Osman, un responsable du Syndicat national des Journalistes somaliens (NUSOJ), ajoutant que l'affaire allait être portée devant la Cour suprême.
Cette affaire a été suivie de près par les Nations unies et les organisations de défense des droits de l'Homme qui y voient une tentative d'étouffer la parole des victimes de viols en Somalie, notamment ceux perpétrés par des membres des forces de sécurité - et de décourager les journalistes enquêtant sur le sujet.
L'interview incriminée avait été réalisée deux jours après qu'une télévision locale eut fait état du viol d'une femme par des hommes en uniformes de policiers et après la diffusion par la télévision Al-Jazeera d'un reportage sur des viols commis par les forces de sécurité dans des camps de déplacés autour de la capitale somalienne.
Un journaliste somalien, Daud Abdi Daud, avait par ailleurs été arrêté le 5 février devant le tribunal, après y avoir critiqué la condamnation d'Abdiaziz Abdinuur.Il avait été libéré après sept jours de détention sans inculpation.
"La Cour d'appel a manqué l'opportunité de réparer un terrible tort, tant pour le journaliste que pour la liberté de la presse en Somalie", a réagi dimanche Daniel Bekela, Directeur Afrique de l'ONG de défense des droits de l'Homme Human Rights Watch (HRW).
"Le gouvernement (somalien) a affirmé que la justice devait suivre son cours dans ce dossier, mais à chaque étape la justice a été niée", a ajouté le responsable de HRW dans un communiqué.
La Somalie est ravagée depuis plus de 20 ans par la guerre civile et livrée aux milices claniques, groupes islamistes et gangs criminels.
L'élection en septembre du président Hassan Cheikh Mohamoud, après une décennie de gouvernements transitoires sans pouvoir ou corrompus, a suscité l'espoir de doter enfin la Somalie d'une réelle autorité centrale, dont elle est privée depuis la chute du président Siad Barre en 1991.
L'affaire a sérieusement embarrassé les nouvelles autorités somaliennes qui bénéficient de la bienveillance de la communauté internationale.
Face aux condamnations et aux critiques des ONG de défense des droits de l'Homme, le gouvernement somalien avait répété son engagement en faveur de la liberté de la presse et promis un procès en appel équitable, mais écarté une intervention politique dans cette affaire, rappelant l'indépendance du pouvoir judiciaire en Somalie.
Au moins 18 journalistes ont été tués l'an dernier et un en janvier en Somalie, et aucun suspect n'a été arrêté pour aucun de ces meurtres.
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