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« Appeler le Rwanda est pour nous une fuite en avant. Que le gouvernement subventionne d'abord nos agriculteurs. » (Activiste)

Au Congo certains membres de la société civile expriment des réserves après la signature entre les présidents rwandais et congolais d'un accord agricole. Brazzaville a cédé au Rwanda 12.000 (douze mille) hectares de terre arable dans trois départements. Joe Washington Ebina, président de la fondation Ebina et membre de la plateforme des Organisations de la Société civile pour les Droits de l'Homme et la Démocratie estime que cet accord est « incohérent ». Il est interrogé par Lilianne Nyatcha.

Joe Washington Ebina, président de la fondation Ebina

25 avril 2022 à 15h21 par Lilianne Nyatcha / Africa Radio

Les 12.000 hectares de terre seront utilisés pour des activités agricoles par le Rwanda. Est-ce une bonne nouvelle pour les congolais ?

L'accord est relativement mitigé dans la mesure où il faut que tout accord soit signé, de la manière dont le Congo signe avec la Chine et beaucoup d’autres pays. Cependant, au niveau du Congo Brazzaville, nous nous sommes penchés sur le sujet et avons décrié le fait que les agriculteurs congolais soient aussi abandonnés depuis de longues années. Ils travaillent encore avec du matériel rudimentaire comme au Moyen-âge alors qu’on est en 2022. Les congolais importent la majorité de leur consommation.

Nous avons estimé qu’il était important que le gouvernement congolais puisse d’abord assister les agriculteurs locaux. Il fallait d'abord leur donner une possibilité de subventions pour qu’ils puissent être compétitifs sur les plans national et international. Ce qui n’a jamais été fait. Donc, aujourd'hui on peut penser que ces accords peuvent être favorables mais je pense que ça ramène encore à un secteur malheureusement abandonné. Les congolais ne sont pas des paresseux, ils n’ont simplement pas de subventions, ni d’aide.

Il s’est rendu à Oyo dans le département de la Cuvette, sa province d’origine avec le président rwandais Paul Kagamé.

Oui, et c’est une activité évidemment qui marche très bien. Les congolais voient très bien cette ferme. Cette ferme qui est privée et qui malheureusement ne peut pas répondre aux besoins nationaux. Il faudrait plutôt penser à aider les agriculteurs et les ouvriers congolais pour qu’ils soient en mesure d'installer leurs activités à travers la République pour subvenir aux besoins des congolais. Parce qu’il y a un problème alimentaire au Congo qui est connu.

Mais en même temps, votre pays compte 10 à 12 (dix à douze) millions de terres arables dont moins de 5% sont exploitées.

C’est parce que justement ce secteur est abandonné. Il n'y a pas d'assistance en ce qui concerne les agriculteurs, les subventions ne viennent pas. Les organisations peuvent vous dire à longueur de journée que ce sont simplement des gens qui par rapport à leurs possibilités personnelles font leur culture. Aujourd'hui, vous allez dans nos centres alimentaires, dans nos marchés, il y a un problème.

Vous estimez donc qu’il est incohérent que le Congo importe des produits vivriers alors qu'il y a des terres disponibles et non cultivées ?

Oui, c'est incohérent. C'est pour nous une incompétence du gouvernement qui n'a toujours pas trouvé de solutions pour régler ce problème agricole. Aujourd’hui, si vous vous lancez dans cette activité, il y a énormément de taxes ; même les importations ! En principe, selon les règles et les informations qui sont données, il y a des facilités en ce qui concerne l’importation du matériel agricole. Mais lorsque vous emmenez ce matériel agricole au Congo, vous êtes taxés, surtaxés. Ça empêche les volontés d’entreprendre dans ce domaine.

Il y a un autre problème dans ce secteur. Depuis un certain temps, il y a des péages qui sont installés un peu partout dans la République. Ces péages sont également un frein parce qu’ils ont des coûts élevés. Même certains produits n’arrivent pas dans les grandes villes à cause des taxes élevées. Appeler le Rwanda est pour nous une fuite en avant parce que les congolais sont abandonnés dans ce secteur.

Ce sont douze mille hectares de terres arables qui ont été cédées au Rwanda sur les dix à douze millions de terres que compte votre pays et dont moins de 5% sont exploitées pour une agriculture vivrière. Votre colère est-elle réellement justifiée ?

Non, nous n'avons pas de problème avec le fait que c'est une petite partie. Ce qui nous importe à nous, c’est de faire savoir que le congolais en lui-même n’est pas un homme paresseux. Ils ont la volonté de travailler leurs terres, mais qu’on les accompagne. Que le gouvernement prenne la possibilité d'abord de subventionner nos agriculteurs. Sinon nous invitons les investisseurs à travers le monde pour venir investir dans l’agriculture dans le pays. Souvenez-vous il y a quelques années, sous l’ère du président Pascal Lissouba, des sud-africains étaient venus au Congo pour également faire l'agriculture ; ça n'a pas beaucoup avancé , mais nous ne sommes pas contre le fait qu'il y ait des investisseurs.

Vous estimez qu’en même temps que le gouvernement accorde des parcelles aux autres pays, il serait mieux de mettre en place une véritable politique agricole pour soutenir les producteurs locaux ?

Exactement, vous remarquerez que même lorsque  certains députés vont dans leurs régions, ils donnent aux habitants des brouettes, des pelles, des houes… Pour dire à quel point ce secteur est abandonné. L’industrialisation ne s’est pas encore installée.

A qui profitent vraiment ces nouveaux accords ? Les populations des trois départements concernés peuvent-elles espérer en tirer profit ?

C’est le temps qui nous dira. Pour l’instant, ce sont des accords que nous regardons d’un regard un peu sceptique. Nous saurons à qui ça va profiter dans quelques mois ou dans quelques années.

Le Pool, département trouble est concerné par ces accords agricoles. Craignez-vous que cela accentue les tensions ?

Nous allons analyser avec le temps ce que ces accords peuvent faire au Pool qui est une zone très sensible au niveau du Congo, pour que ces populations puissent retrouver de l’emploi et la possibilité d'être actives.

 

Décryptage sur la signature entre les présidents rwandais et congolais d'un accord agricole