« L’Europe pourrait se passer du gaz russe , mais pas à court terme » (expert) 

Francis Perrin, chercheur associé au Policy Center for the New South, et directeur de recherche à l'Institut des Relations Internationales et Stratégiques  explique au micro de Lilianne Nyatcha comment l'Europe peut réduire à long terme sa dépendance au  gaz russe  . 

FP

16 mars 2022 à 13h39 par Lilanne Nyatcha / Africa Radio Paris

Le conflit russo-ukrainien déclenché il y a près de trois semaines, entraîne une hausse des prix du pétrole, plus de deux euros le litre de diesel à certains endroits en France. Le pire est-il à venir ? 

 

Ce n'est malheureusement pas impossible.Nous parlons d'une situation de conflit 

armé depuis le 24 février. Par définition ce type de situation est complètement imprévisible, parce que nous ne savons pas, personne ne le sait, comment vont évoluer les opérations militaires, la résistance ukrainienne, l’impact des sanctions occidentales, les tentatives diplomatiques pour mettre ukrainiens et russes autour d'une table. Il y a énormément d'inconnus. Il y a toujours évidemment beaucoup d’inconnus dans la vie, mais il y en a encore plus lorsque nous parlons d'une guerre. Mais on ne peut pas évidemment écarter  des scénarios dans lesquels des opérations militaires, des menaces, d'autres actions ou déclarations continueraient  à avoir un impact haussier sur les prix du pétrole et sur les prix de l’énergie. Dans les derniers jours, cela a plutôt baissé.  

 

Lundi 14 mars, le prix du baril est  à 109 dollars.  Il ne faut pas rester optimiste malgré cette tendance baissière ?  

 

Alors effectivement plus de 100 dollars par baril, c’est très élevé et c'est d'ailleurs au moment où la guerre a commencé, que le prix du pétrole près de la mer du nord a passé le seuil hautement 

symbolique des 100 dollars par baril.  

Depuis le début de cette guerre on est monté  donc un pétrole produit en mer du Nord jusqu'à 139 dollars par baril. 

Depuis on n 'a pas mal baissé mais on reste à des niveaux très élevés et cela peut repartir à la hausse dans 1 heure ou demain. 

 

La semaine dernière, le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire a dit que la crise énergétique est comparable au choc pétrolier de 1973, Que devons-nous comprendre ? 

 

Il faut se souvenir que l'augmentation des prix du pétrole et des prix de l'énergie n'a pas commencé le 24 février 2022 mais en 2021.  

Les prix du pétrole, du gaz naturel, de l'électricité, du charbon, sont en hausse depuis 2021, donc bien avant le début de la guerre, et même bien avant le début de la crise russo-ukrainienne, à l'automne 2021. Cette augmentation forte des prix de l'énergie a donc encore été accentuée par le début de l’agression de la Russie contre l'Ukraine. Mais ça avait commencé bien avant, pour des raisons liées à la forte reprise de la demande énergétique en 2021, elle-même liée à une forte croissance économique après la récession économique 

mondiale en 2020, évidemment période de covid 19.  

Donc depuis 2021, la demande est repartie à la hausse en termes d'énergie compris en termes de 

pétrole et l'offre a un petit peu de mal à suivre cette demande qui galope avec des stocks qui souvent sont assez bas. 

Donc on a une forte augmentation des prix, on a eu d'autres tensions géopolitiques, avant la crise et la guerre russo-ukrainienne, donc nous sommes sur une dynamique haussière des prix de l'énergie dont les prix du pétrole. 

Et on sait que lorsque le ministre de l’Économie fait allusion à un 

nouveau choc pétrolier, il ne fait pas uniquement référence à ce qui se passe depuis le 24 février, mais depuis 2021.  

 

L'Europe importe de Russie environ 40% du gaz naturel et cherche depuis le conflit  russo-ukrainien, des solutions alternatives pour réduire cette dépendance. De quelles options ou leviers dispose aujourd'hui l'Europe pour pouvoir se passer à court terme peut-être, de sa dépendance à l'égard de la Russie.  

 

L'Union Européenne est effectivement très dépendante à l’égard du gaz russe, et depuis des dizaines d’années. Est-ce que c'est possible de réduire fortement cette dépendance, la réponse est OUI.  La question qui vient tout de suite après, dans quel délai ?  

 

L'union européenne parle de cinq ans. 

 

Voilà, ça paraît réaliste. Comme vous le savez, le président Joe Biden a imposé pour les Etats-Unis, un embargo sur le pétrole russe, sur les produits pétroliers russes, sur le gaz naturel russe, sur le charbon russe.  

Mais, les Etats-Unis sont un très gros producteur de pétrole et de gaz naturel et ils sont peu dépendants envers l'énergie venant de Russie.  

 

Par rapport à l'Europe   

 

L’Europe qui n'est pas un gros producteur de pétrole et de gaz et très dépendante du pétrole et surtout du gaz russe, donc le calendrier ne peut pas être le même. 

L'Union Européenne doit se donner du temps, ça ne veut pas dire une éternité, mais une optique de moyen terme, par exemple cinq ans qui est tout à fait réaliste. 

On peut d'ores et déjà en 2022, commencer à réduire notre dépendance par 

rapport au gaz russe et là-dessus il y a plusieurs leviers.  

Premier levier, aller chercher du gaz ailleurs, auprès d'autres pays producteurs et exportateurs de gaz. 

 

Lesquelles par exemple ? 

 

Les Etats-Unis, le Qatar, l’Algérie, le Nigéria, la Norvège, l’Azerbaïdjan. Ce sont des pays qui sont contactés par les européens, par les Américains. 

 

Les Italiens ont déjà engagé les discussions d'ailleurs avec l’Algérie.  

 

Et cela pourrait déboucher sur des livraisons supplémentaires de la part de ces

 différents pays.  

Autre élément, remplacer le gaz progressivement par d'autres sources d'énergie. Pour la production d'électricité, l'Union Européenne veut faire monter en puissance des sources d'énergie 

renouvelables comme éolien et solaire. Ça ne se fera pas du jour au lendemain, mais ça peut se faire. On peut également économiser sur notre consommation actuelle de gaz.  

Il faudra jouer sur ces trois volets à la fois. 

 

Et donc, vous estimez qu'à court terme, l’Europe pourrait  se passer du gaz russe ?  

 

Non, pas à court terme.  

Décryptage Francis Perrin