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Les pays européens veulent réduire leur dépendance à l'égard de la Russie : « Une stratégie commune serait probablement plus efficace » (Spécialiste)

Pour réduire leur dépendance à l'égard de la Russie, plusieurs pays européens se tournent vers l’Afrique et les pays du golfe pour leur approvisionnement en pétrole et en gaz. La France s'est récemment approchée d’Alger, l’Allemagne du Qatar et l’Italie après Alger, s'apprête à signer de nouveaux accords avec la RDC ou encore l’Angola. Cette démarche solitaire est moins efficace selon Philippe Copinschi, spécialiste des questions énergétique et internationale et enseignant à Sciences-Po à Paris interrogé par Lilianne Nyatcha.

Philippe Copinschi, spécialiste des questions énergétique et internationale

22 avril 2022 à 9h25 par Lilianne Nyatcha / Africa Radio

On a l'impression que chaque pays européen cherche ses propres solutions. L'heure n'est plus manifestement à la stratégie commune européenne sur cette question ?

Non, vous avez effectivement raison. Il faut savoir que les questions énergétiques ne relèvent pas des compétences européennes. Donc pour le moment avec des exceptions, mais grosso modo, les politiques énergétiques sont du ressort des gouvernements nationaux. Il appartient à chaque pays, à chaque gouvernement de s'occuper de sa propre politique énergétique et aussi de veiller à la sécurité d'approvisionnement. Cela explique que les pays européens aient le réflexe de partir en ordre dispersé même si on voit bien qu’une stratégie commune serait probablement plus efficace. On entend que la commission essaie de proposer quelque chose comme une stratégie commune. Elle a mis sur la table l’idée d’avoir des achats de gaz communs ; ce qui rendrait évidemment la position de l'Union Européenne beaucoup plus forte avec un pouvoir de négociation beaucoup plus important.

En clair, vous voulez dire que négocier ensemble est plus productif que négocier seul ?

Ah oui sûrement ! Chaque pays pris individuellement est un marché éventuellement moyen mais pas très important. L'Union Européenne dans son ensemble est un très gros marché. Cela représente beaucoup dans un rapport de force classique entre un fournisseur et un client. Plus le client est gros, plus le fournisseur est prêt à faire des concessions notamment sur les prix. Il y a toutefois une précision qu'il est important d'apporter, c’est que le pétrole et le gaz ne sont pas tout à fait régis par les mêmes règles, les mêmes lois. L'approvisionnement pétrolier se fait réellement dans le cadre d'un marché libéralisé.

Les États interviennent très peu sur l'approvisionnement pétrolier : c'est vraiment le fait des compagnies pétrolières, des raffineurs dans un marché qui est complètement globalisé. Avec le gaz, ce sont au contraire des contrats en général à long terme qui sont signés entre les pays fournisseurs et les importateurs et donc là, il y a un manque de flexibilité par rapport à l'approvisionnement. C’est surtout sur le gaz que se pose le problème de substituer l'approvisionnement russe par un autre approvisionnement.

Faire cavalier seul et négocier sans les autres ne risque-t-il pas de diviser les pays européens ? Parce que sur cette question, ils se trouvent dans une situation de compétition où chacun des pays va vers les mêmes destinations pour s’approvisionner et réduire sa dépendance en pétrole et en gaz de la Russie.

Oui, absolument. De manière très claire, si au moins les grands pays importateurs que sont l’Allemagne, l’Italie, la France et dans une moindre mesure l’Espagne négociaient ensemble avec le Qatar, les pays d’Afrique du Nord ou d’Afrique subsaharienne, ils auraient un pouvoir de négociation qui serait très certainement plus important. Mais pour le moment, ce n’est pas le cas. Il faut aussi savoir que ce ne sont pas des choses qui peuvent se régler du jour au lendemain.

Mais ça risque de diviser que d'unir les pays européens qui étaient tous ensemble d'accord pour les sanctions et qui au moment d'en gérer les conséquences font chacun cavalier seul. Est-ce qu'il n’y a pas de risque de division forte de l’Europe ?

Si et ça retarde probablement la capacité des européens à adopter de nouvelles sanctions sur notamment le gaz face à la Russie. Parce que pour le moment, chacun est dans une logique où il essaie de sécuriser ses propres approvisionnements. Mais sur le long terme ce n’est pas quelque chose qui va être forcément dommageable. Les besoins en gaz de chaque pays sont connus, le réseau européen de pipelines est interconnecté ; cela veut dire qu’une partie du gaz qui arrive par exemple de l’Algérie vers l’Italie peut aller vers le nord de l’Europe. C’est plus une question d'efficacité qui est en jeu.

Mais on sait aussi que tous les pays européens n'ont pas la même capacité financière pour négocier sur le marché. N’est-ce pas aussi un élément dont il fallait tenir compte ?

Oui, dans un monde idéal, vous avez raison ; les européens auraient tout à fait intérêt à avoir cette politique commune. Mais le problème pour le moment, c’est que la politique énergétique est du ressort des pays européens. Sauf si l’ensemble de ces pays européens se mettent aujourd'hui autour de la table et donnent mandat à la commission. Comme cela a été le cas pour l'acquisition des vaccins contre le Covid-19. Et avec ça, les politiques de santé relèvent des États aujourd’hui. Les États ont bien compris l'intérêt qu'ils avaient à donner mandat à la commission de parler au nom des 27 et ont pu obtenir ainsi des prix beaucoup plus avantageux que s'ils avaient dû négocier un par un.

Mais avec le gaz et le pétrole, le contexte est un petit peu différent. Il faudra probablement un peu de temps pour que les européens discutent et s’accordent à faire cette transition.

 

« Une stratégie commune serait probablement plus efficace »