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Au Maroc, les cultivateurs de cannabis veulent vivre sans peur

Après des décennies passées dans la semi-clandestinité, Mohamed Morabet espère vendre sa récolte de cannabis "la tête haute" cet été grâce au projet de légalisation de l'usage thérapeutique de cette plante interdite au Maroc, pays pourtant premier producteur mondial de haschich.

"Nous allons enfin sortir de la clandestinit&eacute; apr&egrave;s avoir v&eacute;cu dans la peur et le chantage", souffle ce cultivateur rencontr&eacute; dans son champ o&ugrave; ont r&eacute;cemment &eacute;t&eacute; sem&eacute;es les graines de "kif", premi&egrave;re richesse de la r&eacute;gion de Ketama dans le nord du Maroc.&nbsp;
Le royaume entend, &agrave; travers le projet de l&eacute;galisation, valoriser une fili&egrave;re lucrative actuellement aux mains des trafiquants en se positionnant sur le march&eacute; du cannabis m&eacute;dical.Il esp&egrave;re aussi am&eacute;liorer la situation de la population du Rif, une r&eacute;gion du Nord montagneuse et peu d&eacute;velopp&eacute;e.
Adopt&eacute; par le gouvernement fin mars, le projet de loi sera tr&egrave;s bient&ocirc;t d&eacute;battu par les d&eacute;put&eacute;s, selon des sources parlementaires &agrave; Rabat.
L'enjeu est de taille pour le pays, class&eacute; premier producteur mondial de r&eacute;sine de cannabis par l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime dans son rapport 2020.
A 60 ans, M. Morabet dit toutefois "avoir encore quelques r&eacute;serves".Pour les producteurs rencontr&eacute;s par l'AFP, le projet suscite autant d'espoirs que de craintes.
"Avec la l&eacute;galisation, nous aurons moins de probl&egrave;mes mais nous craignons que le prix de vente soit revu &agrave; la baisse", s'inqui&egrave;te Fadoul Azouz, un sexag&eacute;naire rencontr&eacute; au pied d'une colline surplombant de vastes champs labour&eacute;s pour la r&eacute;colte de l'&eacute;t&eacute;.


- "Libert&eacute; provisoire" -

Le prix du kilo de haschich a d&eacute;j&agrave; baiss&eacute; pour atteindre environ 1.500 dirhams (moins de 150 euros) en raison d'une "lutte accentu&eacute;e contre le trafic de drogue qui a fait baisser la demande" ces derni&egrave;res ann&eacute;es, selon les t&eacute;moignages.
Selon les pr&eacute;visions officielles diffus&eacute;es par l'agence MAP, les cultivateurs sortiront pourtant "gagnants" de la r&eacute;forme.Alors qu'ils touchent seulement "4% du chiffre d'affaires final dans le circuit ill&eacute;gal", ils pourraient potentiellement en percevoir "12% dans le march&eacute; l&eacute;gal".
Les cultures de cannabis couvraient 55.000 hectares en 2019, selon les chiffres officiels, et font vivre entre 80.000 et 120.000 familles dans le Rif, d'apr&egrave;s les estimations.
Traditionnellement cultiv&eacute; depuis des si&egrave;cles, tr&egrave;s visible et largement tol&eacute;r&eacute;, le cannabis est toutefois interdit depuis 1954 au Maroc et sa culture est passible de poursuites, souvent d&eacute;clench&eacute;es par des r&egrave;glements de compte entre voisins.
"C'est comme si nous &eacute;tions en libert&eacute; provisoire", confie Mohamed Morabet.
Il y aurait actuellement "quelque 58.000 cultivateurs recherch&eacute;s" par les autorit&eacute;s, selon les chiffres du minist&egrave;re de la Justice cit&eacute;s par le d&eacute;put&eacute; Mustafa Brahimi.&nbsp;
Beaucoup d'habitants du Rif esp&egrave;rent ainsi que la l&eacute;galisation sera accompagn&eacute;e d'une amnistie pour les fugitifs, selon les t&eacute;moignages recueillis sur place.

- "P&eacute;rim&egrave;tres r&egrave;glementaires" -

Autre interrogation concernant la r&eacute;forme: la cartographie des "p&eacute;rim&egrave;tres r&egrave;glementaires" (zones o&ugrave; la production sera autoris&eacute;e), qui reste &agrave; d&eacute;terminer.
Les cultivateurs de Chefchaouen et de Ketama esp&egrave;rent que la l&eacute;galisation se limitera aux "r&eacute;gions historiques" situ&eacute;es en zone montagneuse et exclura les plantations plus r&eacute;centes des plaines voisines, sur des terres plus faciles &agrave; cultiver et &agrave; irriguer.
C'est le minist&egrave;re de l'Int&eacute;rieur qui listera, une fois la loi adopt&eacute;e, les r&eacute;gions autoris&eacute;es et les producteurs devront se r&eacute;unir en "coop&eacute;ratives" pour vendre leur r&eacute;colte &agrave; une "agence publique" d&eacute;di&eacute;e.
Les volumes "n&eacute;cessaires pour la production &agrave; caract&egrave;re m&eacute;dical, pharmaceutique et industriel" mentionn&eacute;s par le projet de loi restent aussi &agrave; fixer, tout comme la teneur autoris&eacute;e en THC, la principale mol&eacute;cule psychoactive du cannabis.
Said Yarou, 25 ans, cultive du cannabis sur les terres familiales pr&egrave;s de Ketama.Il esp&egrave;re que "les unit&eacute;s de transformation du chanvre seront implant&eacute;es dans la r&eacute;gion afin que les jeunes puissent y travailler".
Certains appellent m&ecirc;me &agrave; r&eacute;fl&eacute;chir &agrave; la l&eacute;galisation du cannabis "r&eacute;cr&eacute;atif", toujours prohib&eacute;.
"Si certains Etats am&eacute;ricains l'ont l&eacute;galis&eacute;, pourquoi pas nous?", souligne Abdallah Al Jout, pr&eacute;sident d'une association locale pro-l&eacute;galisation.
Jusque dans les ann&eacute;es 1960, le "kif" traditionnel --feuilles de cannabis s&eacute;ch&eacute;es puis coup&eacute;es et fum&eacute;es dans de fines pipes en bois-- &eacute;tait surtout consomm&eacute; par les habitants du nord du Maroc et par les touristes.&nbsp;
Une d&eacute;cennie plus tard, la transformation des feuilles de cannabis en r&eacute;sine a tout chang&eacute; et aujourd'hui, dans les caf&eacute;s de la r&eacute;gion, fumer des joints est tout aussi banal que boire un th&eacute; entre amis.

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