Afrique du Sud : l’histoire secrète de la seule puissance nucléaire africaine

Actus. Le 24 mars 1993, le monde découvrait que l’Afrique du Sud avait discrètement fabriqué six bombes atomiques.

Afrique du Sud : l’histoire secrète de la seule puissance nucléaire africaine
Ici, le désert du Kalahari, qui s'étend en partie en Afrique du Sud. En 1977, un essai nucléaire clandestin y était prévu et a été déjoué grâce à des images satellites soviétiques et américaines. - Wikimedia Commons

Dans un discours historique en mars 1993 devant le Parlement, le président Frederik de Klerk brise un tabou : le régime de l’apartheid avait mis au point un arsenal nucléaire et tout avait été démantelé avant la transition démocratique. Une révélation qui fait alors de Pretoria le premier et unique État au monde à s’être volontairement débarrassé de l’ensemble de son armement nucléaire.

Pourquoi l’Afrique du Sud a-t-elle voulu la bombe ?

Cette course discrète à l’atome s'est établie dans un contexte géopolitique tendu. Dès le milieu des années 1970, l’Afrique australe devient un terrain stratégique de la Guerre froide. Le retrait du Portugal de ses colonies en Angola et au Mozambique laisse place à des guerres civiles où s’opposent mouvements pro-marxistes, soutenus par Cuba et l’URSS, et forces conservatrices proches de l’Occident.

L’Afrique du Sud, isolée diplomatiquement à cause de sa politique de l’apartheid, se sent menacée. D’autant qu’elle subit un embargo sur les armes imposé par l’ONU dès 1977. Pretoria estime alors qu’une capacité nucléaire pourrait constituer un outil de dissuasion contre une intervention étrangère ou contre les régimes révolutionnaires voisins.

Crédit : Ici, l'ancien président sud-africain, Frederik de Klerk en 2017//Flickr

La stratégie sud-africaine repose sur trois niveaux : entretenir l’ambiguïté, révéler son arsenal en cas de menace et, en dernier recours, effectuer un essai nucléaire, d'après les travaux du politologue Pierre-Paulin Dika et ceux de Stephen Burgess et Helen Purkitt.

Une coopération américaine, puis l’isolement

Le programme nucléaire sud-africain débute officiellement en 1948 avec la création de l’Atomic Energy Board. Dans les années 1960, les États-Unis livrent à Pretoria le réacteur SAFARI-1, censé servir à des usages civils. Un partenariat maintenu malgré l’opposition croissante à l’apartheid.

Mais dès la fin des années 1970, la donne change. Sous pression du Congrès et du contexte international, Washington suspend sa coopération. En 1977, un essai nucléaire clandestin prévu dans le désert du Kalahari est déjoué grâce à des images satellites soviétiques et américaines. L’Afrique du Sud est alors contrainte de renoncer à toute démonstration publique de sa force de frappe.

Le désarmement : un acte politique et stratégique

Avec la fin de la Guerre froide et les accords tripartites sur le retrait des troupes cubaines d’Angola en 1988, Pretoria perd sa principale justification stratégique. En parallèle, le pouvoir blanc craint que cet arsenal ne tombe entre les mains de l’ANC, un parti anti-apartheid et de ses alliés, Cuba et la Libye en tête.

Dès 1989, sous le président Frederick de Klerk, le démantèlement est amorcé dans le plus grand secret. Les bombes sont démontées, les sites nucléaires fermés et l’uranium hautement enrichi déclassé. En 1991, Pretoria signe le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) et ouvre ses installations à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

Dans un discours à la nation, le chef d'Etat justifie ce désarmement : "La dissuasion nucléaire est devenue non seulement superflue mais un obstacle aux relations internationales de l’Afrique du Sud."

Le nucléaire civil : un héritage toujours sensible

Aujourd’hui, l’Afrique du Sud reste le seul pays du continent à exploiter une centrale nucléaire : Koeberg, près du Cap. Mise en service dans les années 1980, elle fournit environ 5% de l’électricité nationale. Une capacité modeste mais stratégique, dans un pays régulièrement frappé par des coupures de courant.

Le nucléaire sud-africain soulève cependant des critiques. D’un côté, il offre une alternative aux centrales à charbon, très polluantes. De l’autre, les projets d’extension sont jugés coûteux et risqués dans un contexte de crise énergétique et de gestion publique défaillante. Un partenariat controversé avec la Russie avait même été envisagé sous la présidence de Jacob Zuma, avant d’être annulé.

L’Afrique du Sud demeure aujourd’hui un cas unique : seule nation à avoir conçu, puis démantelé volontairement son arsenal nucléaire. Une décision dictée autant par des considérations stratégiques que politiques, dans un contexte international en mutation.

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