Vers 12h30, ce mardi 12 août, touristes et badauds flânaient à nouveau sur le parvis de l’Hôtel de Ville. Quelques heures plus tôt, un important dispositif policier démantelait dans le calme les abris de fortune – faits de bâches, couvertures et barrières – qui servaient de refuge à des centaines d’exilés. Ce campement s’était formé il y a une semaine pour alerter sur l’absence de solution d’hébergement.
Selon Utopia 56, 34 personnes ont été mises à l’abri dans un gymnase parisien, et 66 ont été envoyées en région. La préfecture, de son côté, fait état de 150 personnes prises en charge. Elle n’a toutefois pas répondu aux sollicitations des associations durant l’opération.
Ces réorientations s’appuient sur le dispositif des "SAS régionaux", des structures d’hébergement d’urgence temporaire proposées en dehors de l’Île-de-France. Mais selon Alice Corrocher, coordinatrice de l’association Utopia 56, ces propositions sont souvent mal comprises par les familles, à qui elles sont expliquées en “cinq minutes”, parfois sans traducteur. "Beaucoup n’ont jamais entendu parler de Marseille, Toulouse, Bourges ou Lille", souligne-t-elle.
Une évacuation massive au cœur de Paris
D’autant plus que certaines ont déjà entamé une vie à Paris. Elles y travaillent, y ont entamé des démarches administratives ou y ont des enfants scolarisés. Une femme âgée, par exemple, ne peut envisager de quitter la capitale : elle doit se rendre à deux consultations médicales cette semaine. Sa jambe, déformée par une thrombose, l’empêche de se déplacer facilement.
En dessous de ces toiles tendues, des familles se reposent. // Crédit : Aurélie Lafeil
À quelques mètres d’elle, Sega Diabate, père de famille et représentant délégué de ce campement, refuse également de partir. Lui et sa femme travaillent à Paris ; habituellement, leur fils aurait déjà dû être inscrit à l’école pour la rentrée. Originaire du Mali, il est en situation irrégulière – un frein majeur dans sa recherche de logement. Comme d’autres, il espérait que cette occupation du parvis déboucherait sur une solution durable.
Des solutions temporaires, mais insuffisantes
Malgré tout, la plupart ont été priés de plier bagage et de prendre le métro vers une destination inconnue.
Un petit nombre de places a pu être ouvert à Paris, mais celles-ci sont réservées en priorité aux femmes isolées enceintes de plus de sept mois ou accompagnées d’enfants en bas âge (inférieurs à 3 ans). Alice Corrocher salue ce dispositif, mais regrette qu’il soit aussi restrictif, alors que les besoins sont bien plus larges.
En pleine vague de chaleur, le maintien de ce campement précaire présentait, selon la préfecture de police, des risques sanitaires. "Cette opération s’inscrit dans une démarche d’accompagnement social et de prévention, visant à protéger les personnes à la rue", affirme le communiqué officiel.
Des médecins sur place avaient en effet constaté de nombreux cas d’insolation, y compris chez des nourrissons retrouvés en état de détresse respiratoire. Nathan Lequeux, coordinateur pour Utopia 56, raconte avoir dû appeler les pompiers : "Une petite de 3 mois avait des brûlures au visage et sur la nuque à cause du soleil."
- Pour appronfondir : Journée mondiale des réfugiés : alerte sur la santé mentale des personnes exilées
Conditions de vie indignes sous la chaleur
Durant la semaine d’occupation, des permanences médicales ont été assurées par Médecins du Monde et Médecins Sans Frontières. Des passants, eux, ont multiplié les dons de nourriture et de produits d’hygiène.
Mais les conditions de vie restaient alarmantes. Paul Alauzy, coordinateur pour Médecins du Monde, rappelle que les familles faisaient leurs besoins à même le sol, auprès des arbres, faute de sanitaires. Des enfants se lavaient dans les buissons, à la vue de tous. "Une dégradation supplémentaire pour des personnes exilées déjà marquées par un parcours traumatique", alerte-t-il.
L’État est juridiquement responsable de l’hébergement d’urgence, conformément à l’article L.345-2-2 du Code de l’action sociale et des familles. Ce droit garantit à toute personne sans abri un accès inconditionnel à un hébergement. En pratique, cela passe par le numéro 115 et les SIAO (Services intégrés d’accueil et d’orientation).
Des hébergements saturés
Mais le système est débordé. D’après le baromètre de la Fédération des acteurs de la solidarité, plus de 3 000 personnes, dont environ 1 000 enfants, dorment chaque soir à la rue en Île-de-France, faute de places disponibles. Cette saturation crée une précarité extrême, compromettant l’accès à des droits fondamentaux tels que la santé, la sécurité ou l’éducation.
Face à cette carence, la Ville de Paris tente de combler les manques en finançant des solutions temporaires : centres d’accueil, nuitées d’hôtel, dispositifs spécifiques. Ces efforts, portés par la maire adjointe Léa Filoche, sont toutefois limités par les contraintes budgétaires. "Il est temps que l’État agisse !" Interpelle-t-elle sur une publication Instagram jeudi 7 août.
“Cacher la misère” : une opération contestée
Dans ce contexte de tension entre responsabilités institutionnelles et manque de solutions pérennes, les autorités ont également invoqué des raisons de sécurité pour justifier l’évacuation du campement. Dimanche 10 août, au soir, deux jeunes hommes sont venus uriner sur une femme enceinte et ses deux enfants de 14 mois et 6 ans. Une main courante a été déposée par l’association Utopia 56. Les individus, décrits comme jeunes et "apparemment caucasiens", étaient en pleine possession de leurs moyens. Les autorités craignent que des agressions similaires se reproduisent au vu de nombreux messages haineux sur les réseaux sociaux d'Utopia 56.
Par ailleurs, les conditions sanitaires du campement ne respectaient pas les normes minimales recommandées par l’UNHCR, l’agence des Nations unies pour les réfugiés. Elle préconise notamment une latrine pour 20 personnes et un accès suffisant à l’eau potable. Sur le parvis de l’Hôtel de Ville, aucune installation de ce type n’avait été mise en place : seuls deux brumisateurs et quelques parasols tentaient de fournir un peu d’ombre. Paul Alauzy, coordinateur pour Médecins du Monde, déplore une opération de communication déguisée : selon lui, cette mise à l’abri est surtout une "belle opération pour cacher la misère".
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