Écoutez Sylvain Kahn, professeur d’histoire à Sciences Po, spécialiste des questions européennes
Lundi, le président Donald Trump a reçu le président ukrainien Volodymyr Zelensky et plusieurs dirigeants européens. Est-ce que la présence des dirigeants européens s'est avérée utile ou est-ce qu'elle a plutôt été symbolique ?
Les deux, en fait, c'était tout à fait symbolique, vous avez raison, que le président ukrainien soit entouré par un certain nombre de dirigeants des pays européens. C'était symbolique parce que d'une certaine manière, ça montre que l'Ukraine fait déjà partie de l'Europe.
Ça rappelle qu'elle est engagée dans un processus d'adhésion à l'Union européenne qui a été accéléré et réaffirmé depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022. Une des manières qu'a l'Union européenne de soutenir l'Ukraine, c'est justement de l'avoir invité à adhérer à l'Union européenne.
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C'est un processus qui prend un petit peu de temps. Donc, c'est symbolique parce que ça montre bien que pour les Européens, il y a toujours un pays agressé qui s'appelle l'Ukraine. Il y a toujours un pays allié que les Européens ont envie de soutenir, c'est l'Ukraine. Et de ce point de vue-là, leur présence au côté du président ukrainien Zelensky était tout à fait symbolique. Alors ensuite, est-ce que ça a permis d'obtenir des résultats ? Disons, ça, c'est un peu plus difficile à dire pour le moment.
Auprès de Volodymyr Zelensky, il y avait le chancelier allemand Friedrich Merz, le président finlandais Alexander Stubb, Emmanuel Macron, Giorgia Meloni, qui est la présidente du Conseil italien, et il y avait le Premier ministre britannique, Keir Starmer, ainsi que des représentants des institutions de l'Union européenne, de l'OTAN, de la Commission européenne. Que nous apprend la présence de ces personnes-là ? Certains observateurs ont remarqué que la Pologne, qui est un pays frontalier avec l'Ukraine, n'était pas présente ?
Ce qui est important, ce n'est pas qui est présent et qui est absent, mais le fait que l'Union européenne soit bien représentée. Parce que l'Union européenne, c'est quand même un collectif.
Là, il y avait la présidente de la Commission européenne. Donc, ça veut dire que les institutions européennes et l'entité Union européenne en tant que telle étaient présentes.
Il y a ceux-là, ça aurait pu être d'autres. Vous avez tout à fait raison de dire que la plupart du temps, durant ces réunions, puisqu'il y en a eu plusieurs depuis le mois de février, les dirigeants polonais sont là. Là, ils n'étaient pas là. Je ne crois pas qu'il faille en tirer une signification particulière.
La Finlande a 1 300 kilomètres de frontières avec la Russie. Donc, c'est un pays qui, on va dire, traditionnellement a des contacts avec tous les pays qui sont livrés à de la mer Baltique et de la Russie, comme la Pologne, comme l'Estonie, comme la Lettonie, comme la Lituanie.
Et la présence de la Finlande est d'autant plus importante, car le pays a subi une guerre d'invasion de la part de l'Union soviétique en 1940, qui fait beaucoup penser à la situation de l'Ukraine aujourd'hui.
Depuis que Donald Trump est revenu au pouvoir, il s'est ressaisi du dossier de la guerre en Ukraine. Il est le seul dirigeant à avoir rencontré les deux chefs d'État, Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine. Il a eu aussi des entrevues avec les dirigeants européens. Est-ce que ces derniers ne sont pas relégués au second plan ?
Oui, c'est sûr. D'abord, rencontrer Poutine, si vous voulez, c'est très ambigu. Parce que Poutine, c'est quand même, encore une fois, c'est le dirigeant d'un pays qui a envahi un autre pays de manière complètement gratuite. C'est-à-dire, ce n'est pas du tout un état de légitime défense.
Donc, c'est vraiment de la part du président Poutine, de son gouvernement et de son armée. C'est une politique, militariste, impérialiste, de conquête et de prédation. Normalement, on ne rencontre pas Poutine.
On peut évidemment avoir des relations diplomatiques avec son ministère des Affaires étrangères, avec ses ministres, etc. Parce qu'il faut bien faire avancer les dossiers. Mais le fait que Trump parle à Poutine et que les Européens ne le rencontrent pas, est-ce que c'est un signe de relégation ou est-ce que c'est plutôt le signe qu'il y a des gens avec qui on ne discute pas parce qu'ils sont inculpés de crimes de guerre ?
Après, disons, si les Européens parviennent à faire passer leur message, leurs objectifs et à faire progresser les négociations dans un sens qui est conforme à ce qui leur paraît juste, qu'ils soient là ou qu'ils ne soient pas là, qu'ils rencontrent Poutine ou qu'ils ne le rencontrent pas, ce n'est pas l'essentiel.
Mais est-ce que ce n’est pas laisser la place à Donald Trump, qui semble être du côté de Vladimir Poutine et qui fait plus pression sur Volodymyr Zelensky pour accepter certaines concessions comme céder le Donbass et ne pas adhérer à l'OTAN ? Les pays européens doivent aussi défendre certains intérêts ?
C'est pour ça qu'ils étaient à Washington. Ils ont justement participé à la réunion entre Trump et Zelenski pour faire valoir ce que vous venez de dire. Pour dire: “Non, nous, on trouve que ce n'est pas une bonne idée de toper avec Poutine qui réclame la reconnaissance de l'annexion des territoires conquis militairement”. Voilà. Et à mon avis, ça n'a pas du tout fait changer Trump d'avis.
La vision des choses qu'a Trump, n'a pas changé.
Je crois que le président a une vision très égoïste des relations internationales : il pense avant tout à la manière dont l'économie américaine peut prospérer et progresser. Il voit tous les autres pays comme des gisements de ressources. Je crois que cette administration américaine n'est pas très intéressée par le partenariat et le gagnant-gagnant.
Ce qui compte pour lui, c'est que la guerre s'arrête pour que le business puisse reprendre, que les entreprises américaines puissent aller soit dans un environnement qui leur permette d'avoir des activités. Que le Donbass fasse partie de la Russie ou fasse partie de l'Ukraine, je crois que pour Trump, ça n'a aucune importance.
Et par ailleurs, il n'y a aucune considération ni pour l'Ukraine, ni pour l'État de droit, ni pour la démocratie.
Il a plutôt de la considération pour les pays et les dirigeants qui s'imposent par la force. De toute façon, il ne va pas beaucoup écouter les Européens, sauf s'il a l'impression qu'en fâchant les Européens, ça irait à l'encontre de l'intérêt des Américains.
Ce qu'il faut bien voir, c'est que c'est la première fois, disons, vis-à-vis de la Russie et précédemment de l'URSS, c'est la première fois depuis 80 ans qu'il y a une divergence entre les États-Unis et les Européens. C'est ça le fait majeur.
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