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Des entreprises publiques en faillite au Cameroun malgré l’injection des fonds publics : « il y a une contradiction »

Le dernier rapport annuel de la commission technique de réhabilitation des entreprises du secteur public et parapublic du ministère camerounais des finances révèle que sur la soixantaine de sociétés d'état évaluées, la plupart sont en quasi-faillite et ce malgré les milliards de subventions publiques. Olivier Atemsing Ndenkop, rédacteur en chef de l'hebdomadaire "Expression économique" au Cameroun analyse la situation.

Decryptage

24 février 2022 à 16h23 par Lilianne Nyatcha /Africa Radio Paris

L’enquête de votre journal montre que cela s'explique par plusieurs facteurs. Quels sont les plus importants ?

On doit distinguer deux facteurs principaux : les facteurs exogènes et les facteurs endogènes. Les facteurs exogènes sont d'ordre conjoncturel. On a d'abord la crise liée à la pandémie du coronavirus qui a fortement impacté les économies. Et l'économie camerounaise qui n’est pas en vase clos a été elle aussi fortement impactée parce que certes il n'y a pas eu de confinement au Cameroun, mais l'activité économique n'a pas tourné à plein régime.

Avec aussi la chute du prix du baril de pétrole dû au secteur aérien qui était sinistré.

Effectivement. Il faut préciser que le Cameroun est un pays qui produit le pétrole en quantité marginale, mais forcément le pays doit être impacté par une crise comme celle du coronavirus.  Concernant le second facteur au niveau endogène, on a les situations sécuritaires dans les régions anglophones du pays, le nord-ouest et le sud-ouest qui ont fortement impacté l'économie. Il faut préciser que dans ces régions-là il y a des entreprises qui sont pour une grande contribution dans le budget de l'Etat. Nous avons par exemple la SONARA (la société nationale de raffinage) et PAMOL plantations PLC qui sont situées au sud-ouest, la C.D.C. (Cameroon Development Corporation) qui est le deuxième employeur après l'Etat au Cameroun. On a aussi l’insécurité dans la région septentrionale du Cameroun, notamment les incursions de Boko Haram.

Mais, est-ce qu’il n’y a pas aussi un problème de gestion ? Parce que le rapport évoque aussi des charges du personnel qui absorbent  quand même plus de 60% des subventions versées à ces entreprises.

Oui, il y a un gros problème de gestion. Déjà, si on y va au niveau macro, on ne comprend pas la logique de l'Etat dans la mesure où le chef de l'Etat a publié une série de textes portant statut général des entreprises publiques en 2017. Et, en 2019, il y a eu la loi de mise en application de ces textes. Mais jusqu’aujourd’hui, les entreprises ont toujours à leurs têtes, les mêmes dirigeants depuis plus de 30 (trente) ans. Alors que les textes précisent que ces dirigeants doivent passer au plus 09 (neuf) ans à la tête d'une entreprise. On peut citer comme exemple la SNH (Société nationale des hydrocarbures) avec à sa tête l'ancien ministre de la justice Adolphe Moudiki ou de la CNPS dont le directeur général est là depuis 2008.

Pour revenir aux aides publiques qui sont versées à ces entreprises mais qui ne permettent pas de les relancer, qu'est-ce qui ne va pas ? Comment l'expliquer ?

 Il faut dire qu’on peut difficilement cerner la rationalité avec laquelle ces entreprises sont gouvernées.  L’Etat injecte des fonds. Prenons le cas de la CDC qui a reçu en 2020, près de 724 (sept cent vingt-quatre) millions de francs CFA dont une partie était destinée aux paiements des salaires et une autre pour la relance de certains pans de l'activité. Mais il n’y a pas de résultat. Donc il y a que finalement les fonds injectés par l'Etat n'ont pas été utilisés pour effectivement générer des bénéfices. Ça donne l'impression que l'Etat navigue entre la rentabilité économique et la rentabilité sociale.

Il faut quand-même préserver les entreprises car même dans les difficultés, ces entreprises permettent même à l'Etat de régler le problème social du chômage. Donc on peut comprendre que cet argent injecté par l’Etat permet de financer les emplois. Mais même jusque-là… Prenons le cas d’une entreprise comme PAMOL.  Cette entreprise a vu passer son effectif de 2068 employés en 2028 à 380 employés en 2020.  Comprenez donc que si la logique était celle de la rentabilité sociale, il y a jusqu’ici une contradiction. Non seulement il n'y a pas de rentabilité économique mais en retour, il n'y a pas de rentabilité sociale parce que le personnel est compressé.

Décryptage Olivier Atemsing Ndenkop