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Visite de Kagamé à Brazzaville : ça sonne « l’isolement et l’encerclement » pour la RDC (spécialiste)

Le président rwandais Paul Kagamé a bouclé mercredi une visite officielle de trois jours au Congo, voisin de la RDC. Ce déplacement intervient au moment où Kinshasa a accusé le Rwanda de soutenir la rébellion du M23 qui a repris les armes contre l'armée dans l'est du pays. Comment interpréter la visite du dirigeant rwandais à Brazzaville ? Lilianne Nyatcha a interrogé Bob Kabamba , professeur de sciences politiques à l'université de Liège en Belgique et directeur de la cellule d'appui politologique en Afrique Centrale à Kinshasa.

Bob Kabamba , professeur de sciences politiques à l'université de Liège en Belgique

15 avril 2022 à 12h48 par Lilianne Nyatcha / Africa Radio

Quelle lecture faites-vous de la visite à Brazzaville du président Paul Kagamé dont le pays, le Rwanda est accusé par la RDC de soutenir la rébellion du M23 dans sa partie Est ?

Il faut mettre cette visite dans le contexte régional surtout des rapports de force des différents pays qui entourent la RDC. On peut se rendre compte que le Rwanda a exercé un véritable leadership régional sur le Congo. Mais la donne a changé depuis quelques mois suite à l'intervention de troupes ougandaises sur le territoire congolais sans l'aval du Rwanda qui considérait avoir le leadership justement régional sur le Congo. Cela a eu comme effet de refroidir les relations entre Kinshasa et Kagamé. Kagamé de mon point de vue, essaie par cette visite de continuer à consolider son leadership régional en allant au Congo Brazzaville. Congo-Brazzaville qui est frontalier au reste du Congo Kinshasa. Ce qui permet toujours que Kagamé puisse continuer à avoir l'ascendant sur le Congo- Kinshasa au delà des accords qui ont été signés par les deux pays.

Vous dites clairement que le Rwanda n'a pas vu d'un bon œil le rapprochement entre l’Ouganda et la RDC dont les armées luttent ensemble contre les rebelles des ADF dans l'Est alors même qu'on sait que les relations entre Kigali et Kampala sont plutôt tendues ?

Oui de manière très claire. Regardez la zone d'intervention des troupes en RDC. Cette intervention touche véritablement ce qu'on peut appeler l'espace d’influence du Rwanda en RDC. Ce qui veut dire que l'intervention de troupes ougandaises en RDC a un impact sur les intérêts rwandais en RDC. Alors cela contribue justement à encore accentuer les désaccords entre les deux pays malgré le rapprochement qu’on a remarqué ces dernières semaines et ce qui est aussi à mettre en lien avec la résurgence du mouvement rebelle M23 soutenu par l'armée rwandaise dans l’Est du pays , plusieurs rapports d’ONG l’ont attesté.

Vous dites que la visite de Paul Kagamé vise à confirmer son leadership régional. Est-ce qu'elle ne vise pas aussi à passer un message clair au président de la RDC dont les relations avec son homologue congolais Sassou Nguesso semblaient plutôt très cordiales ?

Les relations entre le Congo-Kinshasa et le Congo-Brazzaville ont été au beau fixe pendant un temps. Ces derniers mois, on s’est rendu compte qu’il y avait une relation tendue au sujet de toute une série de questions, notamment la question de la convention Pont -Rail ( reliant Brazzaville et Kinshasa ). La Banque mondiale et la Banque Africaine de Développement ont financé un projet d’un pont-rail entre les deux capitales Brazzaville et Kinshasa. Ce projet tardait à être ratifié par les autorités de Kinshasa. Ce qui a eu comme effet de pouvoir retarder la mise en œuvre de ce projet. Et cela a contribué à crisper un peu les relations entre les deux pays.

Dans la visite de Kagamé à Brazzaville, au-delà du leadership du Rwanda sur le Congo, il y a aussi un message de Sassou Nguesso à Felix Tshisekedi en disant ‘’bah oui, il peut y avoir une alliance de ce côté Est pour le Rwanda et côté Ouest pour le Congo, Brazzaville est là. C’est aussi un message, de mon point de vue, de Sassou Nguesso vers le président Tshisekedi, pour faire avancer rapidement le dossier Rail-pont entre les deux capitales Brazzaville et Kinshasa.

En tout état de cause, on voit que le rapprochement Kigali-Brazzaville ne fait pas les affaires de Kinshasa. ….

Ce rapprochement ne fait pas les affaires de Kinshasa et contribue à son isolement et à son encerclement au niveau régional. Nous savons tous que le poids politique au Congo dépend aussi pour beaucoup de l’appui qu’on peut avoir des pays de la région, essentiellement de trois pays dont l’Angola, le Congo-Brazzaville, le Rwanda et dans une moindre mesure l'Ouganda.

Face à ce que vous décrivez et qui peut être perçu comme une stratégie d'isolement et d’encerclement de la RDC, comment le président Tshisekedi pourrait-il manager pour s'en sortir ?

Je pense que le président Tshisekedi peut essayer via notamment les pays de la SADC (La Communauté de développement de l'Afrique australe) et aussi l’Afrique du sud trouver une voie de sortie par rapport à son isolement. La solution sud-africaine peut être un bon secours pour lui. L'autre aspect aussi c’est que le Congo a maintenant la présidence de l'Organisation régionale d'Afrique Centrale, donc il peut aussi essayer d'avoir le soutien de plusieurs autres pays de cette région. Mais malheureusement là aussi, le président Tshisekedi a déçu, si je peux le dire ainsi.

Le fait est que le Congo-Kinshasa a été candidat contre le Gabon pour occuper le poste de membre non permanent au Conseil de sécurité. Ce qui a eu comme conséquence de frustrer et froisser les relations entre la RDC et le Gabon. En Afrique centrale, il reste encore le Cameroun et le Tchad qui peuvent peut-être être des soutiens pour Tshisekedi pour sortir de l’isolement régional qui est en train de se créer aux portes de la RDC.

Bob Kabamba , professeur de sciences politiques