Ancienne alliée du régime de Mouammar Kadhafi, la Russie a multiplié les efforts ces dernières années pour s'afficher en médiateur relativement impartial en Libye, où elle garde le souvenir amer d'avoir laissé faire l'intervention occidentale en 2011.
Le Kremlin a encore appelé lundi "toutes les parties" à la retenue, afin d'éviter un "bain de sang" à Tripoli, où l'offensive des forces pro-Haftar a déjà fait des dizaines de morts.Ces derniers jours, le vice-ministre russes des Affaires étrangères Mikhaïl Bogdanov s'est entretenu successivement avec le maréchal Haftar, reçu à Moscou en 2017, puis avec un responsable du Gouvernement d'union nationale.
Mais pour le politologue Alexeï Malachenko, aucun doute."La Russie soutient Haftar, qui parle russe, qui est venu à Moscou et qui s'est entretenu avec le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou", explique-t-il à l'AFP."Mais elle ne peut pas le soutenir totalement pour le moment.Tout va dépendre de sa capacité à prendre Tripoli et du caractère meurtrier de cette opération".
Les contacts des Russes avec ses rivaux du Gouvernement d'union nationale "sont utilisés comme une couverture et un semblant d'approche équilibrée qui n'existe pas en réalité", abonde Alexandre Choumiline du centre d'analyse des conflits au Proche-Orient à Moscou.
Signe de son soutien à l'homme fort de l'est libyen, Moscou a bloqué dimanche l'adoption d'une déclaration du Conseil de sécurité qui aurait appelé les forces du maréchal Haftar à arrêter leur avancée, souhaitant que le texte s'adresse à toutes les parties.
Si Moscou réfute tout soutien militaire, les journaux britanniques The Sun, citant les renseignements britanniques, et The Telegraph, sur la base de sources pétrolières, ont évoqué l'envoi en Libye de mercenaires russes de la société militaire privée Wagner, déjà présente en Syrie et dans plusieurs pays d'Afrique.
L'opaque groupe, parfois utilisé par Moscou mais qui s'affranchit aussi, au besoin, de l'armée russe, fournit en Libye les forces du maréchal Haftar en artillerie, tanks, drones et munitions, selon les sources interrogées par ces journaux.Ces informations n'ont jamais été confirmées officiellement.
- Armes, blé et pétrole -
En jouant une relative prudence, la Russie espère préserver ses intérêts économiques dans un pays riche en pétrole, qui a sombré dans le chaos après la chute du colonel Kadhafi fin 2011.
En visite à Moscou en octobre, le ministre de l'Economie libyen Nasser al-Derssi avait par exemple dit vouloir acheter un million de tonnes de blé et évoqué la relance d'un projet de construction de chemins de fer par la Russie pour 2,5 milliards d'euros, interrompu par la guerre.
Moscou avait décroché, avant 2011, des contrats prometteurs de plusieurs milliards de dollars sur des ventes d'armements et des projets pétroliers en Libye, qui était alors l'un de ses principaux clients arabes.
"La Libye, c'est le pétrole.Et les Russes s'en rapprochent depuis longtemps", résume M. Malachenko, qui souligne également dans la position russe une volonté de "montrer sa présence" en Libye après ses succès en Syrie et son retour progressif dans plusieurs pays d'Afrique.
- "L'homme de Moscou" -
La Russie n'avait pas empêché l'intervention des forces de l'Otan en mars 2011 en Libye, s'abstenant avec la Chine lors du vote au Conseil de sécurité de l'ONU.Elle s'était estimée trompée par les Occidentaux après la mort de Kadhafi, allié de Moscou depuis l'époque soviétique.
Elle a patiemment construit dans les années suivantes ses relations avec le maréchal Haftar, revenu de vingt ans d'exil en 2011.
"Haftar est idéologiquement proche de la Russie.Il milite activement pour une coopération et a reçu des armes russes.C'est l'homme de Moscou", souligne M. Choumiline.
Après avoir sauvé son allié Bachar al-Assad en Syrie, la crise libyenne pourrait être l'occasion pour la Russie de damer le pion une nouvelle fois à Washington, relève M. Malachenko: "Une victoire d'Haftar serait extrêmement inconfortable pour les Etats-Unis, où il est considéré comme un homme de Poutine".
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