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Génocide au Rwanda: au procès d'un ancien médecin, la crédibilité des témoignages au coeur des débats

C'est une procédure qui repose uniquement sur des témoignages, concernant des faits vieux de 29 ans.Au procès d'un ancien médecin jugé pour sa participation au génocide des Tutsi en 1994, la cour d'assises de Paris a débattu mardi du crédit à apporter aux dépositions dans ce dossier.

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22 novembre 2023 à 15h06 par AFP

Paris (AFP)

Les rescapés et proches de victimes de ces massacres, qui ont fait plus de 800.000 morts entre avril et juin 1994, n'ont pas défilé à la barre.Mais la question de la crédibilité de leurs déclarations n'a de cesse d'être évoquée depuis l'ouverture du procès de Sosthène Munyemana, il y a une semaine.

"Il y a 28 ans et cinq jours que cette affaire a commencé", avec le dépôt à Bordeaux d'une plainte contre l'ancien médecin, avait déclaré au premier jour Me Jean-Yves Dupeux, un des deux avocats de l'accusé.De fait, cela en fait le plus ancien dossier instruit en France sur des faits liés au génocide.

Et dans cette procédure, il n'existe "aucun élément matériel, tout repose sur des témoignages humains", avait-il observé.Or, "on sait la fragilité des témoignages humains".

Sosthène Munyemana, qui vit en France depuis septembre 1994 et est désormais retraité, comparaît notamment pour génocide et crimes contre l'humanité.

Il est soupçonné d'avoir participé aux massacres en soutenant le gouvernement intérimaire institué après l'attentat contre l'avion du président hutu Juvénal Habyarimana, qui a encouragé les tueries.On lui reproche aussi d'avoir mis en place des barrières et des rondes dans la région de Butare (sud du Rwanda), au cours desquelles des personnes ont été interpellées avant d'être tuées, et d'avoir détenu la clé d'un bureau où étaient enfermés des Tutsi, avant d'être exécutés.

L'ancien gynécologue conteste les accusations et avance la thèse d'une vengeance ourdie par le pouvoir rwandais actuel."Le pouvoir veut faire taire toutes les personnes qui le critiquent", a-t-il lancé vendredi.

- "Procès de Paul Kagame" -

Mardi, ses avocats ont fait diffuser une vidéo faisant la synthèse d'un récent rapport de l'ONG Human Rights Watch, qui accuse les autorités rwandaises d'être responsables de meurtres, passages à tabac et enlèvements de dissidents à l'étranger.

C'est un "régime qui empêche la liberté d'expression des personnes, qui subissent des risques physiques mais également des menaces de poursuites judiciaires dans leur propre pays", a résumé Me Florence Bourg, autre avocate de M. Munyemana.

Un des témoins cités par la défense, qui devait être entendu mercredi, a d'ailleurs renoncé à le faire: dans un courriel au président de la cour d'assises, lu en audience, il affirme avoir appris que des "agents de Kigali" rendaient "la vie impossible" aux personnes venant en soutien de l'accusé, mettant en cause le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR).

Des assertions "grotesques" pour l'avocat de ce dernier, Me Simon Foreman.Selon lui, la stratégie de défense cherche à "transformer le procès de Sosthène Munyemana en procès de Paul Kagame", qui dirige d'une main de fer le Rwanda depuis la fin du génocide.

Appelé à la barre pour expliquer la manière dont les investigations ont été menées, un enquêteur français qui s'est rendu deux fois au Rwanda dans le cadre de cette procédure le reconnaît: "depuis le début, on est conscients d'avoir affaire à un dossier à 100% testimonial". 

Sur place, "notre travail va être de recueillir ces témoignages et de les évaluer", et d'"essayer d'avoir un maximum d'auditions de manière à en tirer des lignes directrice", explique-t-il, admettant que certaines dépositions étaient "orientées", par désir de "vengeance personnelle", ou encore par une volonté de "monnayer une position sociale".

Mais ceux-ci étaient "peu nombreux et identifiés clairement", nuance-t-il, expliquant par ailleurs que les auditions de témoins se faisaient "sans la présence des enquêteurs rwandais", afin de "mettre à l'aise les témoins".

"La vérité juridique, la vérité des psychologues et la vérité des victimes n'est pas forcément la même vérité", explique de son côté la psychanalyste Diana Kolnikoff."Dans ce genre de procès, c'est parole contre parole.Ce qui va émerger c'est une parole qui va convaincre ou pas."