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"Je ne souhaite pas faire un film qui ne sera pas vu par ma population" - Aïcha Macky (réalisatrice)

Le Niger accueille depuis samedi, la 2è édition de la Semaine du cinéma africain. Entre projections de films et formations, c’est aussi l’occasion pour les professionnels du secteur de faciliter l'accès aux films au plus grand nombre . Aïcha Macky, sociologue, réalisatrice nigérienne et tête d'affiche de cette édition est interrogée par Lilianne Nyatcha.

Aïcha Macky

1er avril 2022 à 13h51 par Lilianne Nyatcha /Africa Radio Paris

Décryptage Aïcha Macky, sociologue, réalisatrice

Quelles sont les articulations de ce rendez-vous ?

La semaine du cinéma africain est un rendez-vous annuel rotatif. L’année passée, c’était à Yaoundé et cette année les délégués ont fait l’insigne honneur de l’ouvrir sur la capitale du Niger, Niamey. Il y a d’abord la question des films qui ont été sélectionnés. Ce n’est pas un festival compétitif mais il sert aux films africains et à certains d'en profiter pour faire leur avant-première mondiale. Cette année, c’est le Bénin qui est le pays invité d’honneur et il y a une quarantaine de films qui ont été projetés dans les cinq communes de Niamey.

Il faut aussi noter qu’il y a la session de la formation avec quatre masters class qui portent sur les quatre maillons du cinéma : la production, la réalisation, l’écriture scénaristique et l’actorat. Une centaine de jeunes sont en train de suivre ces master class au niveau de l’université où nous avons élu le quartier général. Nous sommes en train de faire un accompagnement des jeunes en cherchant des bourses vers des institutions afin de leur permettre d’aller dans des écoles pour légitimer leur passion pour certains, et leurs études pour d’autres.

Pendant une semaine il y a donc des films africains qui sont projetés à Niamey et dans d'autres villes du Niger. Autrement dit, c'est vraiment le cinéma qui va finalement vers les consommateurs désormais. Est-ce que vous pensez que cette stratégie va aider à populariser le septième art en Afrique ?

Absolument. C’est aller dans le sens du cinéma de proximité. Avec la disparition des salles un peu partout sur le continent, la meilleure façon de réinventer les choses, c’est de faire en sorte que le cinéma aille vers les gens. C’est pour cette raison que nous sommes en train de faire des projections extra-murs dans des quartiers les plus populaires pour que le cinéma arrive à retrouver son public sur place.

Le public a accès gratuitement à toutes ces œuvres cinématographiques de l’Afrique et de sa diaspora. Est-ce que la gratuité n’est pas un risque pour le cinéma qui, on le sait, a un coût ?

Je pense que quand on fait un film, c'est pour être vu. Pendant longtemps quand on en fait, c’est vendu et beaucoup plus vu ailleurs que sur le continent. Donc, si les festivals comme la Semaine du cinéma africain pouvaient permettre à nos populations de regarder nos productions, c’est tant mieux. Je parle en tant que réalisatrice. Je ne souhaite pas faire un film qui ne sera pas vu par ma population, c’est la première cible pour moi.

Faire un peu de la gratuité dans ce que nous faisons pour nos populations ne fait pas de mal. Ailleurs, les gens ont les moyens de s'acheter des films, d'aller dans les salles mais dans un pays comme le mien, où les gens ont à peine 1 dollar par jour pour la survie, comment est-ce qu'ils peuvent avoir l'argent déjà pour aller en salle ?

Les salles de cinéma n’existent même pas du tout dans certains pays.

Je prends l'exemple de Niamey où à l'époque on avait 29 salles privées dans la capitale seulement. Mais aujourd'hui, dans tout le Niger, nous n’avons qu’une seule salle privée détenue par Bolloré (Canal Olympia) pour près de 25 millions d’habitants. Si on attend donc que nos films soient dans les salles, on aura du mal à les faire voir aux populations pour qui on les fait d’ailleurs.

Le cinéma africain est confronté à plusieurs défis. Est-ce que la rencontre de Niamey peut véritablement contribuer à apporter des réponses concrètes à ces défis ?

Oui, absolument. Parce que qui parle de rencontre entre les acteurs, les réalisateurs, les producteurs, parle aussi de réseautage. Beaucoup de jeunes qui n’ont pas de carnet d’adresse à proprement parler n’ont pas d'ouverture. Donc, en faisant ce cinéma ambulant qui va être une sorte de pont, on va unir et relier des nations, des contrées et des gens entre eux. Évidemment cela permet à ce que des étincelles jaillissent. De grandes collaborations, de grandes réalisations et co-productions pourront naître.

De quel coup de pouce a besoin aujourd’hui le cinéma africain pour réellement émerger au plan mondial ?

Particulièrement au niveau de l’Afrique de l'ouest, ce qui manque beaucoup est au niveau du financement. Or qui parle de faire le cinéma, parle aussi d’argent. Il y a aussi la question de la formation. En allant par exemple dans des rencontres internationales aujourd'hui, la langue du cinéma, c’est la langue anglaise. Et nous, africains francophones, avons particulièrement des problèmes à parler cette langue. C’est une chose à laquelle on peut pallier à travers les formations dans tous les maillons du cinéma.

Comment l’insécurité affecte-t-elle la production cinématographique au Niger, pays particulièrement touché par les attaques terroristes ?

C'est plutôt le contraire. Cette rencontre aujourd'hui permet de parler en bien de ce pays pendant une semaine. Mais aussi, vous conviendrez avec moi, le cinéma est une arme qui peut combattre tous les maux. Il y a beaucoup de films qui traitent de la question de l'insécurité et en le montrant aux populations, ils permettent de sensibiliser les gens sur l’insécurité. Comment faire en sorte de ne pas se laisser enrôler dans des conflits armés ? Le cinéma est vraiment une lumière.