Écoutez Noëlle Lenoir, avocate et présidente du comité de soutien à Boualem Sansal
Écoutez Noëlle Lenoir, avocate et présidente du comité de soutien à Boualem Sansal
Vous êtes avocate et présidente du comité de soutien à l'auteur franco-algérien Boualem Sansal. Ce dernier a été condamné mardi à cinq ans de prison ferme. Vous attendiez-vous à ce verdict ?
On s'attendait éventuellement à un verdict plus clément, puisque toutes les informations qui nous remontaient, y compris d'ailleurs du gouvernement français, faisaient état d’une volonté du gouvernement algérien de passer à un autre sujet et, si je puis dire, sans aucune connotation péjorative, de se débarrasser du cas de cet écrivain de 80 ans, qui a un cancer, qui a écrit des livres uniquement en français, qui sont censurés en Algérie, qui ne sont donc absolument pas lus par la population algérienne et qui n'a rien à faire en prison.
Puisque vous avez indiqué tout à l'heure que c'était pour ses positions sur la marocanité du Sahara occidental, ça a été un motif invoqué par le pouvoir algérien qui, ensuite, voyant que la France ne changeait pas de position sur le sujet, a dit : "non, ce n'est pas cela qu'on lui reproche".
Et en dernière analyse, d’après ce qu’on a pu constater dans le compte rendu de l’audience d’appel à Alger, qui a conduit à sa condamnation, comme vous l'avez dit, à cinq ans de prison mardi dernier, la présidente de la Cour lui a dit deux choses : « Pourquoi vous écrivez des livres ? » et « Pourquoi vous écrivez des livres en critiquant l’Algérie ? »
Il lui a répondu: "Mais madame, vous faites le procès de la littérature."
Boualem Sansal est une voix très critique du pouvoir algérien. Avait-il conscience des risques qu’il encourait en retournant en Algérie ? Pensait-il qu’il serait, cette fois-ci, incarcéré ?
Je n'en sais rien, parce qu'il ne nous l'a pas dit. Est-ce qu'il avait conscience des risques ? Oui, bien sûr. Vous savez, les membres du comité de soutien sont aussi menacés. On a conscience des risques.
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Mais quelquefois, il y a des êtres humains qui prennent des risques pour des idées, qui prennent des risques pour les autres et qui assument ces risques. Et c'est cela qu'a fait Boualem Sansal, dont le courage et l'honnêteté intellectuelle se sont aussi illustrés pendant l'audience et les propos qu'il a tenus en disant : "Je suis un homme libre, je parle à tout le monde, je parle de l'Algérie, je parle de la France."
Je signale également qu'il est très critique vis-à-vis de la France et qu'il met en garde le gouvernement français contre un risque de basculement dans la violence, dans le chaos et aussi un risque de ce qu'on peut appeler l'islamisation, c'est-à-dire que ça deviendrait une République un peu théocratique au lieu d'être une République tout court, telle que les révolutionnaires français et le peuple français l'ont souhaité à travers les âges.
Et donc, sa critique, il la porte sur tout le monde. Mais ce que je peux dire, c'est qu'il aime son pays d'origine, l'Algérie, qu'il aime son pays d'adoption, la France.
Est-ce que vous pensez que le gouvernement français peut vraiment agir pour sa libération ?
Je pense que le gouvernement français a essayé. Je pense que la diplomatie a utilisé ses propres voies, qui ne sont pas efficaces, mais je pense qu'on ne peut pas le leur reprocher non plus. Ils ont essayé. D'autres pays ont essayé aussi, je crois savoir, notamment l'Allemagne, d'aider la France dans cette démarche vis-à-vis de l'Algérie, ou l'Italie, qui a de bons rapports avec l'Algérie.
Je pense que tout le monde a essayé. Simplement, Monsieur Tebboune, et peut-être l'armée qui est derrière lui, ont estimé que c'était une bonne idée d'incarcérer un vieillard qui fait des livres qui déplaisent.
Et donc, ça, on ne peut pas empêcher que des gouvernements prennent de mauvaises décisions, et même des décisions qui arment leurs adversaires, parce qu'il n'y a aucune justification à cette incarcération.
Samedi 5 juillet, c’est la fête de l’indépendance en Algérie, et à cette occasion, le président accorde des grâces. Est-ce que vous croyez toujours à la grâce présidentielle ?
J'y crois.
D'ailleurs, si on n'y croyait pas, on cesserait le combat. Je pense qu'il sera libéré. Pas pour des raisons humanitaires.
Parce que si ces raisons étaient humanitaires, il n'aurait pas été arrêté. Lorsqu’il a été arrêté, les autorités algériennes, notamment la sécurité militaire, savaient parfaitement qu'il était malade. Il l'était déjà avant.
Donc, je ne crois pas à un geste humanitaire. Je crois en revanche à quelque chose qui va dans le sens de l'intérêt du gouvernement algérien, puisqu’il n'y a aucun bénéfice politique à garder cet écrivain.
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La France ne va pas l'abandonner, le gouvernement français ne va pas l'abandonner, et le comité de soutien ne va pas l'abandonner non plus.
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