Vous avez pris part à un échange organisé par le Collège des Bernardins autour de la question suivante: Doit-on s'excuser de la colonisation ? Échange qui a été retranscrit dans un livre (ed. Desclée de Brouwer). À qui peut faire référence ce "on", qui peut être perçu comme accusateur pour certains ?
Pascal Blanchard : Ce "on", s'intéresse à chacun d'entre nous parce que, d'abord, il s'intéresse à l'institution. Il faut être honnête. Il pose la question à l'État français : doit-on s'excuser ?
Deuxièmement, il pose la question aux Français. Troisièmement, il pose la question à quelque chose de plus vague qui s'appellerait les corps constitués. Quelle réflexion on peut avoir dans l'espace, par exemple, des musées, dans l'espace des médias, dans l'espace de la culture, dans l'espace du savoir, dans les différents corps de l'État qui ont pu être parties prenante de l'histoire de l'État ? Et puis, la question, elle a quelque chose d'ouvert. Elle est faite aussi pour interroger tout le monde, c'est-à-dire pour réfléchir à ce que signifie s'excuser.
Donc, le "on", en fonction de ceux qui se sentent concernés ou non, induit que chacun peut se positionner à travers ça. Vous avez remarqué, le titre n'a pas été : Est-ce que la France doit ? Le titre n'a pas été : Est-ce que l'Armée doit ? Le titre n'a pas été : Est-ce que la République française doit ? Le "on" permet d'ouvrir le débat pour commencer à se poser la question : mais à qui on s'adresse ?
Benjamin Stora : Il est évident que le "on" s'adresse surtout, aussi, essentiellement à la société française, en général, qui, pour certains d'entre elle, c'est-à-dire pour des élites préalablement politiques, continuent de s'interroger sur la question de la colonisation en termes positifs, en termes
civilisationnels. Et donc, par conséquent, la question, c'est aussi de s'adresser à eux, c'est-à-dire de considérer que la colonisation, certes, doit être mise en débat, mais la mise en débat ne signifie pas l'approbation de la colonisation. Je crois que c'est aussi ça qu'il faut dire.
L'État, justement, est le premier acteur, quand on pense à ce "on". Il y a un chapitre, d'ailleurs, qui est consacré à la responsabilité des Républiques. Présenter des excuses officielles en tant qu'État, et surtout en tant qu'État colonisateur, a toujours été une démarche compliquée. Pourquoi, selon vous ?
B.S : Les excuses, elles ont été formulées plusieurs fois, contrairement à ce qu'on croit, lorsque Jacques Chirac est parti à Madagascar, en 2018. Macron, lui aussi, a formulé des excuses sur ce qui s'était passé dans le massacre de 1947, 48, 49. Donc, il y a eu effectivement des excuses. Par exemple, sur d'autres pays, le Japon a présenté des excuses à la Chine sur la Mandchourie. Ils ont présenté des excuses.
Les États-Unis, par exemple, sur la guerre du Vietnam, il y a eu tout un livre, par exemple, de Robert McNamara, qui a présenté ses excuses aux Vietnamiens. Donc, la question des excuses peut s'appréhender de manière très simple. C'est-à-dire qu'on peut faire des excuses et passer à autre chose.
Présenter des excuses ne signifie pas pour autant approfondir la question et la traiter sur le fond. Ça peut être un préalable, évidemment, mais ce n'est qu'un début, ce n'est qu'un démarrage.
Mais ça ne peut pas, de mon point de vue, être une fin en soi.
Benjamin Stora, en 2021, Emmanuel Macron, vous avait commandé un rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d'Algérie. Vous aviez déclaré justement que "les discours d'excuses ne doivent pas être des mots prononcés un jour pour se débarrasser le lendemain d'un problème si profond". Cette déclaration a été aussi critiquée par certains historiens, qu'ils soient en France ou en Algérie, notamment. Mais est-ce que ce n'est pas aussi un premier pas pour un ancien pays colonisateur de se détacher de cette image parfois arrogante et condescendante, qui est reprochée à la France par plusieurs pays anciennement colonisés ?
B.S : Oui, effectivement, ça peut être considéré comme un préalable, le fait de présenter des excuses. Mais vous savez, Jacques Chirac a présenté ses excuses à la communauté juive sur la question du Vel d’Hiv. Est-ce que vous croyez que cela a empêché de l'antisémitisme de monter dans ce pays ? Ce que je disais dans mon rapport, c'est que j'étais favorable à ce qu'on prononce des excuses. Mais je vais expliquer aussi que présenter des excuses ne clôturerait pas la question, mais elles l'ouvriraient.
Ma préoccupation, c'était d'ouvrir le questionnement autour de la colonisation et de tous ces travers, de tous ces problèmes, de toute la brutalisation. On s'est arrêté,
on s'arrête encore, à la question de la crise. Donc, on n'avance pas. Alors que précisément, la France a reconnu sa responsabilité dans l'assassinat de Maurice Audin, d'Ali Boumendjel.
Elle a reconnu l'application et la pratique de la torture, les déplacements forcés de population. Elle a reconnu la déportation à la frontière, elle a reconnu tout ça. Ça, on n'en parle pas. Tout ça, c'est dans mon rapport.
On parle encore une fois, des années plus tard, des excuses. Vous croyez que c'est sérieux de continuer à débattre sur les excuses alors qu'il y a des problèmes, disons, qui sont ceux de la reconnaissance, de la brutalisation des sociétés colonisées dans ses moindres détails ?
Si on a posé cette question dans ce livre avec Pascal Blanchard, c'est précisément pour tenter de dépasser ce concept d'excuse et qui, très souvent d'ailleurs, s'est transformé en concept de repentance.
Doit-on s'excuser de la colonisation ?, de Pascal Blanchard et Benjamin Stora, ed. Desclée de Brouwer (168 p.), 13,90€
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